L'éveil est simplement le fait de revenir à soi, à l'expérience brute, telle qu'elle se donne.
L'"illumination" pleine de visions d'Anges et de créatures "subtiles", c'est autre chose. Ne confondons pas.
L'éveil est un acte, répétable, un éveil au mystère de ce qui est donné à chaque instant. Un mystère oui, mais rien d'obscure. C'est au contraire un retour de l'attention à ce qui est limpide, plus transparent que l'air, plus clair que le jour.
Cet acte peut se répéter. A chaque fois, c'est la première fois, car il n'y a pas de repères, pas de contenu, car l'éveil est justement le fait de s'éveiller au silence, vide, nu, diaphane, immaculé, vide plein de tout, incompréhensible mais évident.
On peut raconter une "première fois", mais ça n'est pas nécessaire. Le Bouddha a proposé ce modèle narratif, mais d'autres n'ont jamais rapporté de récit d'éveil. Shankara, Abhinavaguta, Utpaladeva, ne parlent pas d'une première fois, mais seulement de l'éveil qui se confond avec la conscience, avec une indicible compréhension ou intuition : en sanskrit, il y a un seul mot pour tout cela, bodha.
Il n'y a pas nécessairement de "premier éveil" car quand je m'éveille dans la nudité, il n'y a pas de repères, pas de devenir, pas de temps. Mais c'est plein de temps, de changements. L'éveil, tel que je l'entends, n'est rien d'autre que l'éveil à l'expérience nue, brute, donnée, sans manipulation ni technique. C'est un genre de geste d'attention, comme de se réveiller, comme de réaliser qu'ici, je ne regarde pas ces mots à partir d'une tête, mais que ces mots apparaissent dans un vide.
Et donc aussi, l'éveil n'est pas "la réalisation du potentiel personnel". C'est juste se réveiller à l'expérience brute, comme un enfant qui fait des ronds dans l'eau. Rien de plus anodin. Et ça n'améliore pas la personne. Souvent, au contraire, cela s'accompagne d'une lucidité plus vive encore à l'endroit des rouages et ruses du petit Moi. Et c'est indicible. Mais ça n'est pas l'indicible d'un voyage sous drogue ou d'un enlèvement par les ETs. C'est l'indicible ordinaire. Rester comme muet. C'est l'indicible du flot de l'expérience.
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Bien sûr, cela libère, dénoue, équilibre, guéri. A sa façon. Pas comme dans les publicités miraculeuses. Pas de "pouvoirs surnaturels", ces ennemis de l'éveil. Douglas Harding rappelait sans cesse que l'éveil, voir d'un regard nu, ne rend pas l'humain plus humain, au contraire. Ce qui touchait Harding, c'est la beauté de la chose en elle-même, pas ses résultats. Harding a toujours été mal à l'aise au sujet des "bénéfices" de la vision nue. Sans doute en partie à cause de son éducation chrétienne, mais aussi de par sa lucidité. Ne pas se raconter d'histoires. Juste se taire. Laisser fluer. Voir. Tout ce que l'on peut en dire est paradoxe et absurdités.
Mais l'éveil et les spiritualités qui en découlent ne parlent pas d'un "au-delà" réservé à des chanceux, mais simplement de la vie. Eckhart parle de la vie. Abhinava parle de la vie. Comme il dit, l'éveil ça n'est pas aller ailleurs, c'est laisser se déployer l'expérience sans la manipuler. La grâce, c'est ce miracle ordinaire. L'attention, dispersée dans les choses, revient aux choses même. Ca fait comme un petit choc. On peut appeler ça "éveil". Mais ce mystère n'a pas besoin de mystification. Il a besoin d'attention nue.
Ensuite, on interprête. On chante. Juste, si possible. Sans savoir comment, sans but. C'est beaucoup plus simple et instinctif que toute "pratique", que toute "technique". On peut pointer, avec précision. Mais on ne peut systématiser. Quand on essaie d'organiser, ça foire immanquablement. On en vient à dire "je veux protéger mon satsang", comme Mooji, et le truc meurt dans les applaudissements du public. C'est comme l'Anneau unique. Un tout petit bidule, tout bête. On ne sait au juste quel est son pouvoir. Mais s'il y a le moindre fantasme du petit Moi, ça vous rend dingue et on vend son âme au Diable.
L'éveil n'est pas une prétention, juste une observation, une attention à ce qui est. C'est très intime, impossible à instituer. Tous les sages qui ont essayé s'y sont brisé le coeur. Même Gandalf aurait chuté, s'il avait accepté l'Anneau. Il n'y a que le vide, le rien, ce qui est caché par sa banalité, qui demeure sain et sauf.
L'éveil est simple. Facile. Juste un tout petit geste d'attention, un brin d'audace. Suspendre le jugement. Les certitudes. Demeurer muet. A l'écoute. N'espérer aucun résultat. Renoncer à tout bénéfice. Le petit Moi va vieillir, tomber malade et mourir. Il ne comprend rien, salope tout et s'empêtre, même quand il transforme en or ce qu'il touche. Et c'est dans ce lâcher-prise que ce petit Moi va trouver sa juste place, son "bonheur". Et qu'il va continuer à se biodégrader bien tranquillement, comme tout le reste.
L'éveil est simple. Il ne donne rien. Il a sa propre magie, fragile et discrète. Comme un genre de koala intérieur, vous voyez ?
Mais simple. Juste partir de ce qui est donné ici, maintenant. Pas ce qui est espéré, imaginé, "ressenti", vaguement interprété, mais ce qui se donne en toute évidence. Gratuitement, sans conditions, que je sois un Ange ou un asticot.