Les masnadieri sont habillés élégamment
Masnadieri et ladroni - Le sens des mots : les brigands ne sont pas des voleurs.
À Naples, le banditisme s'élevait à la hauteur d'une institution. Les brigands se divisent en deux catégories : les brigands, ou masnadieri, et les voleurs ou ladroni.
Les premiers sont enrégimentés, obéissent à des chefs, et rappellent un peu nos anciens routiers. Ils sont habillés aussi élégamment que les Fra Diavolo d'opéra comique, et ne se départent point de certains principes de franchise, de dignité et de courage. Ils inspirent au peuple plus d'admiration que de blâme, et les villageois les aident du mieux qu'ils peuvent. Le brigandage est la lutte de celui qui n'a rien contre celui qui possède. C'est presque un parti politique; il reparaît à chaque révolution, et rançonne le riche partout où il le trouve.
Les ladroni sont, au contraire, des bandits anonymes, qui volent lâchement et ne reculent pas devant le meurtre. Ils vont isolément attendre le voyageur, le dévalisent, le frappent, et rentrent chez eux sans que personne ait soupçonné leur crime. Ces malfaiteurs dangereux sont appelés à la potence par le vœu général, tandis que les masnadieri rencontrent partout protection et appui. Les paysans, les aubergistes, les conducteurs de diligence, les prêtres et les gendarmes renseignent, abritent, secondent mystérieusement les brigands; et il serait vraiment difficile de dire exactement ceux qui sont ici pour ou contre leurs exploits. [Extrait d'un article de la Petite presse du 12 mai 1867].
Le compte-rendu de la Revue indépendante
La revue indépendante du 10 février 1848 donnait un long compte-rendu de la première londonienne de I Masnadieri de Giuseppe Verdi, qui avait eu lieu le 22 juillet 1847.
SCÈNE ANGLAISE.
Londres semble vouloir disputer à Paris un des avantages que jusqu'ici il n'avait pas songé à lui enlever. Bien que l'Allemagne et l'Italie eussent le pas sur nous dans le monde musical, depuis nombre d'années, c'était en France que se tenait pour ainsi parler la foire lyrique la plus célèbre et la plus européenne. Nulle scène n'avait autant d'échos que nos trois opéras. Mais voilà que Londres prétend devenir à son tour une des capitales musicales de l'Europe ; et, grâce aux chemins de fer et aux bateaux à vapeur, son désir pourrait fort bien se réaliser.
Le directeur du théâtre de Sa Majesté s'était engagé envers la noblesse et le public en général à donner chaque saison une œuvre nouvelle. Il avait même annoncé presque officiellement pour cette année un opéra du docteur Mendelsshon, le Haendel de l'Angleterre de nos jours. Forcé de remettre à la saison prochaine l'accomplissement de cette dernière promesse, M. Lumley n'a pas moins tenu à se montrer homme de parole. Maintenant surtout qu'un second théâtre italien lui fait concurrence, il avait mille motifs pour remplir ses engagements. Il s'est donc adressé au compositeur le plus en vogue de la jeune Italie, le signor Verdi ; et il a voulu que son théâtre servît de champ de bataille aux admirateurs et aux adversaires du maestro. Les directeurs de nos scènes lyriques, MM. Roqueplan et Duponchel, ont été les premiers à reconnaître l'importance d'une pareille innovation : comme plusieurs autres impresarios du continent, ils se sont hâtés de se rendre à Londres, où, le jeudi 22 juillet, ils ont pu entendre le nouvel opéra : I Masnadieri. Rien n'avait été épargné pour donner de l'éclat à cette solennité. La mise en scène était à la hauteur des beaux décors exécutés par M. Marshall; les principaux rôles avaient été confiés à mademoiselle Lind et à MM. Lablache, Gardoni, Bouché, Colefti : pour la première fois le rossignol suédois se voyait dignement secondé. Enfin, le maestro Verdi avait été engagé à venir en Angleterre pour y diriger, suivant l'usage italien, la première représentation de son œuvre. Jusqu'à quel point l'événement a-t-il répondu à tous ces éléments de succès, nous ne saurions le dire : car il nous est impossible de faire la part des bravos adressés au compositeur ou aux chanteurs. Toujours est-il qu'un morceau a eu les honneurs du bis et qu'à la fin de chaque acte le signor Verdi a été appelé sur le théâtre. Mais la presse n'avait pas encore parlé ; les connaisseurs n'avaient pas encore déclaré ce que devaient penser les hommes de bon ton.
Le sujet de I Masnadieri est emprunté aux Brigands de Schiller, qui avaient déjà servi de texte à un autre opéra italien : I Briganti de Mercadante. Il y avait, en effet, matière à tailler un riche libretto dans cette œuvre passionnée où par la voix de la poésie, l'ancienne société, lasse d'être comprimée, réclamait la libre expansion que huit ans plus tard elle allait exiger par la voix de la Révolution française. Toutefois, le drame de Schiller avait, pour les exigences de la musique, un fort grave défaut: son uniformité de couleur ; et le chevalier Maffei, l'auteur de I Masnadieri, n'a nullement remédié à cet inconvénient, bien qu'il lui eût été facile de profiter du rôle des brigands pour jeter quelques capricieuses variations sur le thème toujours sombre de son modèle. Son poëme n'a guère d'autre mérite que celui de suivre assez respectueusement la conception de Schiller.
Au lever du rideau, Carlo de Moor lit les grands hommes de Plutarque, et tandis qu'il exprime son dédain pour les petits hommes et pour les petites choses de son temps, pour la mesquinerie qui l'étouffé de tout côté, les chants de ses compagnons célèbrent la grandeur et l'audace de la vie de bandit. La scène change : nous sommes transportés dans le château du comte Maximilien de Moor. Francesco, son second fils, nous révèle la jalousie qui l'anime contre son frère, et l'impatience avec laquelle il attend la mort de son père. Il a intercepté les lettres que Carlo adressait au vieux comte pour s'excuser de quelques folies de jeunesse; il en anéantit une autre où Maximilien de Moor pardonnait à son premier né ; et il y substitue un billet plein de malédictions et de menaces. Un nouveau tableau nous présente le vieux comte endormi, et sa nièce Amalia qui veille sur lui en pensant à Carlo son bien-aimé. Le vieillard se réveille pour recevoir un coup douloureux que son second fils lui a préparé, dans l'espoir de le tuer en lui brisant le cœur. Un complice de Francesco, un certain Arminio, vient annoncer que Carlo réduit au désespoir par la sévérité de son père, est allé se faire tuer sous les murs de Prague. Le vieux comte perd connaissance : pendant son évanouissement, Francesco le fait jeter dans une tour située au milieu des bois ; puis il répand le bruit de sa mort, et il fait à un cercueil vide de pompeuses funérailles en l'honneur de celui qu'il se dispose à faire périr pour s'emparer de ses biens.
Au second acte, Amalia est en prière devant le tombeau élevé au comte, et des chants d'orgie s'échappent de l'appartement occupé par Francesco. Touché d'un remords, Arminio se glisse près de la jeune fille à laquelle il apprend à la hâte que le vieux comte vit encore et que Carlo n'a pas été tué. Au milieu de ses transports de joie, Amalia voit arriver Francesco qui la poursuit de son brutal amour, mais elle brave ses menaces, lui arrache son épée et prend la fuite. Le second tableau roule sur l'épisode auquel Schiller a consacré la troisième scène de son deuxième acte. Irrité de la bassesse de ses semblables, tourmenté de la soif des grandes choses et se croyant renié par son père, Carlo Moor est devenu chef d'une bande de brigands. Pour délivrer un de ses compagnons qui vient d'être emprisonné à Prague, il incendie la ville ; et au milieu de la confusion générale il rend le prisonnier à la liberté. Mais tant d'audace ne peut étouffer la voix de ses remords et de ses regrets ; et pendant que les bandits s'enivrent de leurs triomphes, il s'éloigne pour songer à ce qu'il est et à ce qu'il était autrefois : il pense à sa jeunesse, à ses jours d'innocence et à l'amour d'Amalia.
Au troisième acte, Amalia est encore dans la retraite où elle est venue se dérober aux violences de Francesco. Elle entend des voix farouches chanter non loin d'elle le pillage et le meurtre. Saisie d'effroi, elle invoque le secours du ciel, lorsque soudain un homme se présente devant elle : c'est Carlo. Les deux amants se reconnaissent et tombent dans les bras l'un de l'autre. Carlo, toutefois, ne tarde pas à revenir de son ivresse. Il sent qu'il a creusé un abîme entre lui et sa bien-aimée : il veut mettre fin à sa vie, mais Amalia retient son bras et le sauve de son désespoir. La nuit vient, Carlo qui ne peut dormir, erre seul dans la forêt. Il entrevoit un homme qui se glisse mystérieusement près d'une tour en ruine : il le suit, il le voit glissant quelque chose à travers les barreaux d'une fenêtre ; derrière ces barreaux il découvre un prisonnier. Aussitôt il force la grille de la tour, il pénètre dans le cachot, et il en ramène un vieillard qui n'est autre que son père. Carlo appelle à lui ses compagnons, et jure de tirer vengeance de son frère.
Le début du quatrième acte est une pâle décalque de la scène de Schiller où Franz de Moor tourmenté par d'affreuses visions, et, fou de terreur, fait appeler le pasteur Moser, qui le menace du courroux céleste. Le second tableau du même acte nous ramène au cœur de la forêt. Le vieux Maximilien a retrouvé ses forces ; il s'abandonne tout entier au bonheur de revoir son fils chéri qu'il veut rétablir dans ses droits. Mais il apprend que Carlo est chef d'une bande d'assassins. Ici le chevalier Maffei a cru devoir s'écarter de son guide. Dans le drame de Schiller le comte meurt de désespoir, et Francesco s'étrangle avec le cordon de son chapeau au moment où les compagnons de son frère envahissent le château. Dans les Masnadieri, Francesco échappe aux mains des bandits, et le vieux Moor survit à ses épreuves. Quant à Amalia, le poëte italien lui a laissé toute cette folie d'amour et de dévouement que Schiller se plaisait à donner à ses héroïnes. Elle ne sait qu'aimer ; elle consentirait à devenir l'épouse de Carlo, pourvu qu'il renonçât à sa coupable existence. Mais Carlo sent trop qu'il ne peut plus rentrer en paix ni avec lui-même, ni avec le monde : et après avoir poignardé son amante, il court se livrer à la justice des hommes.
Comme canevas préparé pour M. Verdi, le poëme des Masnadieri avait un vice radical de construction. C'était par ses morceaux d'ensemble que le jeune maestro s'était fait en Italie une réputation de novateur, et les quatre actes du cavaliere Maffei lui fournissaient à peine une ou deux occasions de déployer ses ressources particulières. L'opéra s'ouvre, d'ailleurs, d'une manière assez insolite par trois grands airs qui se succèdent comme les grains d'un chapelet. N'ayant pas mission de discuter la partition, nous nous bornerons à peu près à dire qu'elle ne fournit aucun nouvel argument ni aux prôneurs, ni aux détracteurs de M. Verdi. Ceux qui trouvaient son instrumentation empoulée, confuse et décousue, ses morceaux de chant communs, peu mélodieux et parfois sans symétrie, persisteront dans leur opinion après avoir entendu les Masnadieri. Les fidèles du maestro, en revanche , citeront avec enthousiasme les effets d'instruments à vent que M. Verdi a marqués de son sceau dans la symphonie du premier acte (avant l'entrée d'Amalia), le quartetto qui termine le même acte, le chœur de l'orgie ou à défaut de caractère profond il y a au moins une verve fort désordonnée, et probablement le chœur très enchevêtré " le Rupe, gli stupri ", qu'on dit imité du fameux " Stehlen morden " qui fanatisait autrefois les étudiants allemands.
Quoi qu'il en soit, Lablache, Gardoni et Coletti ont fait merveille, et Jenny Lind a chanté le rôle d'Amalia de sa voix la plus émouvante et la plus pure. Au second acte surtout, lorsque Arminio lui confie que Carlo n'est pas mort, elle a trouvé des accents qui ont transporté ses auditeurs. Même après ses triomphes de la Somnambule, de la Fille de régiment et de Robert-le-Diable, elle pourra se rappeler avec orgueil les Masnadieri.
Certes, Jenny Lind aura lieu de garder de l'Angleterre un enivrant souvenir. Avant d'y arriver, elle était déjà divinisée ; bien plus, elle était aimée. Son portrait, affiché de tout côté, la représentait blonde comme une ondine du Nord; on chantait partout de plaintives mélodies composées par elle. Ses nombreuses biographies l'enveloppaient à l'envi d'une poésie chaste et douce, de la poésie domestique qui séduit le plus l'Angleterre. Si elle avait quitté le mystère du foyer, répétait-on, c'était uniquement pour acheter par son talent le droit de retourner bientôt s'enfermer dans une solitude aimée avec le fiancé de son cœur. Enfin elle parut, et l'enthousiasme ne fit que redoubler. Si, comme la poésie du Nord, son chant n'avait pas peut-être la sauvage grandeur de l'emportement, l'énergie de la passion spontanée; comme elle, il avait la profondeur rêveuse, l'élégance et l'idéal. Fraîche et jeune, sa voix savait être émue au milieu des calculs de l'étude. Que les Anglais lui aient payé d'une reconnaissance exaltée les plaisirs qu'ils lui devaient, ce n'était que justice. Que la mode ait fait vibrer quelques fausses notes dans ce concert d'admiration, cela était naturel et excusable : mais on prétend que les admirateurs du rossignol suédois se disposent à lui offrir une médaille ou une statuette en l'honneur de son talent et de sa vertu : et en vérité Jenny Lind mérite mieux qu'une aussi burlesque ovation.
Crédit photo : Wilfried Hösl
Agenda munichois des Masnadieri
Massimiliano - Mika Kares
Carlo - Charles Castronovo
Francesco - Igor Golovatenko
Amalia - Diana Damrau
Arminio - Kevin Conners
Moser - Callum Thorpe
Rolla - Dean Power
Choeur du Bayerische Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
Direction: Michele Mariotti
Les 8, 11, 14, 18, 22, 26 et 29 mars 2020 Les 1 et 4 juillet 2020 Réservations : cliquer sur le lien.
La première du dimanche 8 mars est radiodiffusée par BR Klassik (cliquer sur le lien) de 17H30 à 21H.