Poezibao publie aujourd'hui un ensemble à la mémoire de l'écrivain Gérard Arseguel, disparu ce samedi 29 février 2020. On peut lire un hommage d'Alain Paire, ci-dessous un florilège de textes choisis dans différents livres par Christian Tarting et Danièle Robert. On trouvera aussi un texte de Gérard Arseguel dans la rubrique Notes sur la création.
une méthode de discours sur la lumière
Tout ce qui penche
et perd
son poids
le soleil
le froid vers le bas
*
suivant la même route sur le même miroir
la rotation la roue
une infinité de nuages
dont on se sert pour la toilette
ou le mouvement de la roue
la surface des corps polis
qui pénètre dans l’air de la chambre
le calcul du jour de la nuit
*
ainsi le sens circule
et vous vous écartez
dans la lumière
dans l’entrave
de la lumière
*
qui est autour de vous
que vous voyez
qui passe
(le cahier d’air
ouvert
à chaque page)
ailleurs
avec sa surface
*
grandes surfaces froides (d’eau)
debout dressées dans le plan
d’incidence grandes travées
arrêtées ou détruites grandes
ondulations tamisées
dans le vent
dans tous les sens (le vent)
dans une direction
*
maintenant au contraire pour les anneaux
vers l’œil dans l’air qui n’existe pas
sur la lame de l’air et plus mobile que
ces épaisseurs de l’âme mêmes
et les intervalles plus pâles
(les plumes de quelques oiseaux)
et dans tous les cas
au-delà
*
ce qui se voit de part
et d’autre
qui serre trop fort qui résiste
et même
quelle scène tu vois
quel soleil
se coucher dans ce lit (la montagne)
*
tout ce qui tombe
et pend
plus bas
le soleil
sa langue à l’envers
Gérard Arseguel, Une méthode de discours sur la lumière, Courlon, Gramma, 1979, pp. 10-17.
***
une ville à la campagne
a lieu
par conséquent je dis
tels sont les morts
fleuves et feux
chantant dans les jardins
au fond
au trou du fond
*
soleils et sacs
d’épeautre
dans les champs
aux nues
aux nuées nues
sur les barres de terre
*
palmiers des doigts
jardins des mains
mes nichés morts
poussant
dessous les corps
des yeux
du fil des yeux
*
enduits à l’eau
passés à la raison
au sel
à l’oraison
versets de mottes
bosquets d’eaux
*
de vos noms lieux
courant sous les nuages
dessus dessous
dans les feux de la terre
chemise et nuit
de terre
chemin d’eaux
Gérard Arseguel, Portrait du cœur sous les nuages, Paris, Flammarion, coll. “Poésie”, 1988, pp. 81-87.
***
l’oiseau
je vous revois
la tête découverte
sur la branche
d’hiver
le petit lot
des choses
qui survivent
*
l’œil dur
l’âme irritable
dans la lumière froide
articulée
*
les années basses
sans couleur
aveugle vous aussi
avec l’oiseau
aveugle
*
ah soulever
l’air chaud
remonter
dans le tissu blanc
la phrase longue
des glaïeuls
*
un petit bois de pins
pour le café
s’endormir
dans le taillis
bas
*
sur une claire
enclume
d’acacia
aveugles nous aussi
avec l’oiseau
aveugle
Gérard Arseguel, Théorie de l’envol, Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, coll. “ Doute B.a.t. ”, 1996, pp. 61-67.
***
esthétique de l’abandon
L’air égaré
cassant
le froissement quelconque
d’une feuille
*
Mais les oiseaux
dessinent
sur les vitres
de grands vols noirs
des bonds de caoutchouc
*
sur les larges baies
de l’augure
le virtuel trace
ces signes
le bâton court
l’espace se redouble
non de reflets
mais de l’ancienne joie
*
Forêt de pierre
immenses cendres conservées
et le balancement léger
jusqu’au vertige
de ce qui passe
dans le ciel
et se détache
simplement
*
Fine fuite
de l’enveloppe
l’éclat du mot
et je te vois
*
ta chair image
le radiant
la saillie
d’un bulbe
le buste
*
ta couleur je ne peux
la dire
elle est adroite
elle est futile
elle n’importe qu’à moi-même
*
mais demeure
son balancier
sa hanche d’eau
qui se renverse
*
c’est à main droite
et c’est plus haut
que cette tige
survoltée
*
le reste de toi
se disperse
hors des mots
je ne te vois pas
Gérard Arseguel, Esthétique de l’abandon, Tarabuste, coll. “ Doute B.a.t.”, 2001, pp. 7-16.
***
Méfiez-vous des morts car ils ne sont pas morts
tout à fait et du fond de leur mort
même la plus parfaite ils bougent
quelque chose incolore chiffon branches
de noisetier ils frappent la poussière
se parent de ses grains menacent sans répit
et pour qu’ils se replient dites ce que l’on dit
quand on est démunis, bandits !
Gérard Arseguel, Autobiographie du bras gauche, Tarabuste, coll. “Reprises”, 2017, p. 7.
photo © Jean-Marc de Samie