Polanski césarisé au milieu des crachats

Publié le 05 mars 2020 par Sylvainrakotoarison

" Les Français aiment le réalisme ; ils pensent que si les comédiens sont trop beaux, le film ne ressemble pas à la réalité. Il a l'air d'un film. " (Roman Polanski, 7 mai 1997).

Et voici qu'on reparle de Roman Polanski en ce début de décennie. La raison ? La 45 e cérémonie des César du cinéma qui s'est déroulée le vendredi 28 février 2020 à la Salle Pleyel, à Paris.
Cette cérémonie est l'un des deux événements importants de la profession du cinéma français, l'autre est le Festival de Cannes. Cette année, tout commençait mal. Deux semaines avant la cérémonie, le 13 février 2020, la totalité du conseil d'administration de l'Académie des César a démissionné à la suite de protestation de professionnels sur le mode de gestion. Mais la polémique avait commencé deux semaines auparavant encore, le 29 janvier 2020, quand la liste des nominations a été publiée. Pourquoi ? Parce que le dernier film " J'accuse" de Roman Polanski a été nommé douze fois !
Cette année, c'est le film "Les Misérables" qui a remporté le titre le plus glorieux, trois César dont celui du meilleur film, mais "J'accuse" a néanmoins remporté lui aussi trois César (comme un troisième film, "La Belle Époque"), celui des meilleurs costumes (Pascaline Chavanne), celui de la meilleure adaptation d'un roman (Roman Polanski et Robert Harris, l'auteur du roman dont le film est inspiré), et enfin, et surtout, celui du meilleur réalisateur (Roman Polanski).
Roman Polanski a été donc récompensé très personnellement comme le meilleur réalisateur, et je m'en suis réjoui, comme je me serais réjoui si "J'accuse" avait été récompensé comme le meilleur film (ce qui n'a pas été le cas). Je l'ai déjà expliqué, j'ai beaucoup apprécié ce film qui a excellemment évoqué l'affaire Dreyfus par un angle détourné, un personnage moins connu (le colonel Picquart) et je suis convaincu que ce film sera "le" film qu'on fera voir aux scolaires pour parler de cet épisode pas très glorieux de l'Histoire de France.

En raison de la polémique qui n'a cessé d'enfler contre la venue de Roman Polanski, aucune personne ayant collaboré à ce film n'est finalement venue à la soirée présidée par Sandrine Kiberlain et présentée par Florence Foresti. Roman Polanski est ainsi couronné par les Césars puisqu'il a remporté, en soixante-cinq ans de carrière, dix César (dont cinq du meilleur réalisateur). Avec Jacques Audiard, c'est le plus césarisé de toute l'histoire des César.
Autant dire que ces César multiples (je n'évoque pas les autres et nombreuses récompenses internationales), attribués de façon continue à des époques très différentes, montrent que Roman Polanski est ce qu'on pourrait appeler un "bon réalisateur", qu'on l'apprécie ou qu'on le déteste. Je salue donc ceux qui attribuent les César de n'avoir pris en compte que le caractère de l'œuvre de l'auteur sans prendre en considération d'autres éléments.
Car soyons clairs, ces autres éléments, ce qui fait polémique depuis plus d'une dizaine d'années (mais pourquoi seulement depuis dix ans et pas depuis quarante ans ?), ce sont les faits qu'on reproche à Roman Polanski et notamment d'avoir abusé d'une jeune fille de 13 ans en 1977 aux États-Unis. Il a reconnu les faits, à savoir des rapports sexuels illégaux avec une mineure, il a purgé une peine de prison pour cette raison, et la victime en question, malgré les pressions très fortes, a tourné la page depuis longtemps et son seul souhait, c'est qu'on ne parle plus de cette affaire.
Avec l'initiative MeToo, en revanche, d'autres femmes ont elles aussi déclaré qu'elles avaient été des victimes de Roman Polanski. Je n'ai aucune raison de ne pas les croire, mais les faits sont prescrits et les preuves assez inexistantes (c'est d'ailleurs le problème dans ce genre d'affaires). Je suis incapable de savoir si Roman Polanski est coupable ou pas, mais ce que je sais, c'est que ce n'est pas à un tribunal médiatique de juger ce genre d'affaires, c'est à la justice, et si la plainte repose sur des éléments solides, une instruction judiciaire est ouverte. À ma connaissance, aucune affaire judiciaire n'existe en France contre Roman Polanski.
On pourra toujours dire que c'est injuste, mais il serait encore plus injuste de laisser les réseaux sociaux ou les médias faire justice eux-mêmes. Notre pays a des lois, généralement, elles sont appliquées et souvent sévèrement (par exemple, dans l'affaire Balkany) et je ne vois pas pour quelle raison Roman Polanski bénéficierait d'une sorte d'immunité judiciaire, et cela pendant deux ou trois générations de juges.
Je ne plaindrais évidemment pas Roman Polanski même si son histoire est particulièrement horrible : sa famille exterminée dans les camps nazis (dont sa mère enceinte), sa femme enceinte et ses amis massacrés à domicile par un pseudo-gourou sanguinaire, etc. Rien ne peut en effet justifier viols ou autres actes criminels si ceux-ci ont été commis. Mais encore faut-il qu'ils eussent été commis.

On pourra aussi se demander s'il faut séparer l'œuvre de son auteur. Flaubert avait déjà répondu à la question mais rien n'empêche non plus d'évoluer, ce fut sans doute le cas de Céline, mais aussi de Hergé (par exemple). Roman Polanski est devenu une sorte d'homme symbole, cible idéale mais injuste d'une cause pourtant juste et sincère, celle des femmes abusées sexuellement voire violées et qui ont toujours gardé le silence parce que traumatisées. Il faut que ces pratiques scandaleuses cessent, d'autant plus que les victimes sont jeunes, et il y a une lente mais heureuse progression de la société qui rejette de plus en plus ces comportements de "prédateur".
Mais pour autant, il faudrait rappeler qu'un film, ce n'est pas une œuvre individuelle, c'est le résultat d'un projet collectif auquel ont contribué des centaines de personnes. Récompenser le film "J'accuse" était mérité, et au-delà de son réalisateur, c'était récompenser aussi ces centaines de personnes, pas seulement les "têtes de gondoles" (acteurs, réalisateurs), sans lesquelles le film n'aurait rien été.
En d'autres termes, rendons à César ce qui est à César, et laissons la justice se faire par des juges et pas par des militants activistes qui peuvent parfois se tromper de combat.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 mars 2020)
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Pour aller plus loin :
Polanski césarisé au milieu des crachats.
Michèle Morgan.
Miou-Miaou.
Juliette Gréco.
Marina Foïs.
"Le Cercle des Poètes disparus".
Robin Williams.
Suzy Delair.
Michel Piccoli.
Gérard Oury.
Pierre Arditi.
"J'accuse" de Roman Polanski.
Faut-il boycotter Roman Polanski ?
Adèle Haenel.
Michel Bouquet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Marie Dubois.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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