L'épidémie de coronavirus qui sévit en Chine démontre l'extrême vulnérabilité de nos économies, même lorsqu'elles sont parfois pilotées par des États forts. En particulier, la segmentation mondiale du processus productif, présentée dans les années 1980 comme la panacée, est depuis quelques années très contestée et les consommateurs - devenu souvent des consom'acteurs - réclament désormais des circuits plus courts et transparents. Cela soulève une question plus générale : le capitalisme est-il réformable voire dépassable ? Ce billet se propose de donner quelques éléments de réflexion, mais bien entendu il n'est pas possible d'entrer dans les détails en quelques lignes...
Qu'est-ce le capitalisme ?
J'ai récemment eu une discussion informelle sur la notion même de capitalisme, qui m'a permis de constater combien le mot était mal compris et trop souvent synonyme de commerce. Il n'est pas question ici de faire de longs développements sur le capitalisme, mais juste de définir cette notion pour permettre ensuite une petite analyse.
Soyons donc clairs : le capitalisme désigne un mode d'organisation de l'économie basé sur la propriété privée des moyens de production, ce qui va de pair avec la recherche d'un profit privé. Bien qu'ils participent à la production, les salariés ne sont dans un système capitaliste qu'exceptionnellement associés à la prise de décision. Les prémices d'un système capitaliste sont à chercher au XVIe siècle où l'esclavage est dominant, mais c'est au XIXe siècle qu'apparaîtra le capitalisme industriel triomphant... pour une minorité !
Le capitalisme n'est donc pas le fonctionnement naturel de l'économie comme j'ai pu l'entendre, mais bien une construction assez récente comme le montre l'historienne Ellen Meiksins Wood dans son dernier livre L'origine du capitalisme. En tout état de cause, lorsqu'on évoque le capitalisme, il faut impérativement analyser en regard la condition des travailleurs (salariés historiquement et indépendants depuis quelques années..).
Selon Bruno Amable, il existe plusieurs formes principales de capitalisme, que l'on peut classer en fonction du type de concurrence sur le marché des biens, du niveau de déréglementation des marchés du travail, les caractéristiques des marchés financiers, du système d’éducation et enfin du degré de protection sociale :
[ Source : Alternatives Économiques ]
Qu'est-ce qu'une entreprise ?
De 1978 à 2019, l'article 1833 du Code civil disposait que "toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés". Pas un mot sur l'entreprise, la société étant ravalée à un unique objectif de profit. Mais depuis l'adoption de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise) de 2019, l'article 1833 du Code civil a été réécrit de la manière suivante : "toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité".
La loi PACTE permet également aux entreprises de définir une raison d'être, sorte de marqueur social qui s'inscrit dans les engagements au titre de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Pour ce faire, l’article 1835 du Code civil a été modifié par l'ajout suivant : "Les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité".
Enfin, la loi PACTE consacre le statut d'entreprise à mission, inspiré des Benefit Corporation américaines, qui entraîne l'inscription de cette mission dans les statuts de l'entreprise et prévoit un organe chargé de vérifier la conformité des décisions de gestion de l'entreprise avec celle-ci.
Les actionnaires tout-puissants
Hélas, derrière les beaux discours et les beaux textes de lois se cachent une loi d'airain : les investisseurs continuent à exiger des taux de rentabilité très élevés, ce qui revient à pressurer les entreprises au vu des conditions actuelles.
[ Source : Natixis ]
Et pour atteindre de pareils objectifs de rentabilité démentiels, les entreprises cherchent à augmenter leur profitabilité au détriment des salariés, délocalisent dans les pays à bas coûts salariaux et à faible protection sociale (euphémisme...), s'endettent et cherchent à acquérir une position de monopole. Bref, tout le contraire du marché libre et concurrentiel vanté par la théorie économique dominante !
Ainsi, pour réformer véritablement le capitalisme, il faudrait revenir sur plusieurs points principaux :
* réduire l’exigence de rentabilité des investisseurs ;
* faire en sorte que le partage des revenus devienne plus favorable aux salariés, c'est-à-dire redresser la part des salaires dans le PIB ;
* redonner un véritable pouvoir de négociation aux travailleurs (pas toujours salariés du reste...) ;
* faire en sorte que les chaînes de valeur soient plus régionales et subséquemment relocaliser la production.
Vous vous dites que les conditions ci-dessus sont impossibles à réaliser ? Vous avez raison et c'est pourquoi je ne crois pas un instant à quelque réforme du capitalisme. Ce d'autant plus que, dans les conditions actuelles, tout est fait pour que rien ne puisse réellement changer, en raison d'intérêts croisés bien compris. Pourtant, il ne fait aucun doute que ce système capitaliste est désormais sévèrement contesté un peu partout dans le monde, même aux États-Unis !
Mais à la question le capitalisme est-il dépassable ?, la réponse est oui comme tendent à le prouver les nombreuses initiatives récentes. Hélas, là encore tout est fait pour qu’aucun modèle alternatif ne puisse trouver de légitimité aux yeux du grand public. Dès lors, à défaut d'un Grand Soir, nous risquons d'assister à une Grande Chute, composée d'une hausse de l'insolvabilité des ménages et des États, le tout mâtiné d'une crise financière... À moins que ce ne soit la psychose du Coronavirus qui ne nous entraîne par le fond !