Alan seeger – i have a rendez-vous with death.

Par Francois155

"Jeune légionnaire, enthousiaste et énergique, aimant passionnément la France. Engagé volontaire au début des hostilités, a fait preuve au cours de la campagne d'un entrain et d'un courage admirables. --- Glorieusement tombé le 4 juillet 1916."

(Citation à l'ordre du jour de la Division du Maroc, 25 décembre 1916.)

Sous chacune des petites croix érigées repose le légionnaire
Il est sans épouvante au milieu du canon qui tonne
Et, dans sa nuit, il dort en paix, sous l'éternelle fusillade.
Pour que d'autres générations puissent dans les ans à venir,
Libre de l'opprobre et de la menace,

Posséder un plus riche héritage de bonheur,
Il marche à cet héroïque martyr.

Estimant infime le paiement de sa dette,
Pour que son drapeau puisse, l'honneur intact,
Flotter sur les tours de la Liberté, de sa poitrine,
Il fit un rempart et, de son sang, comble le fossé.

Depuis sa création jusqu’à nos jours, la Légion Etrangère s’est entourée d’une aura glorieuse qui suit ceux qui la servent partout dans le monde. Pour l’étranger, le Légionnaire est l’une des figures les plus dignes et les plus rugueuses du guerrier moderne. Aux yeux de nombreux jeunes hommes, la possibilité de s’engager dans ses rangs garde son attrait : gout de l’aventure, de la camaraderie, du service des armes, volonté de se joindre à un corps d’élite, autant d’aimants qui suscitent les vocations et nourrissent la légende. Pour le citoyen français, le légionnaire est ce défenseur venu d’ailleurs, ce compatriote par le sang versé, toujours en première ligne, intervenant sur tous les points chauds, vedette incontestée des défilés patriotiques.

Au cours de son histoire, des personnalités devenues célèbres ont souhaité intégrer cette unité d’exception, souvent comme simples soldats. Citons, parmi tant d’autres, l’écrivain suisse Blaise Cendrars, le compositeur et chef d’orchestre autrichien Max Deutsch, l’écrivain allemand Ernst Jünger, l’acteur américain Norman Kerry, le gouverneur de Rome et ancien ministre italien Giuseppe Bottai, le compositeur de jazz américain Cole Porter.

Le déclenchement de la Grande Guerre voit la Légion venir combattre pour la première fois sur le territoire métropolitain. Dès l’annonce de la déclaration de guerre, des milliers d’étrangers résidant en France ou dans les colonies affluent vers les bureaux de recrutement, désireux de participer à l’effort de défense nationale. Au total, ils seront 42 883 volontaires, représentant 52 nationalités, formés en cinq régiments de marche. L’ampleur des pertes subies décidera le commandement à regrouper le reliquat pour former le Régiment de Marche de la Légion Étrangère (RMLE), qui se couvrira de gloire sur tous les secteurs où il sera engagé sur le front de l’Ouest. Régiment le plus décoré de France, avec le RICM, il deviendra en 1920 le 3éme Régiment Etranger d’Infanterie. Le 3éme REI a conservé depuis les traditions et les emblèmes de son glorieux ancêtre.

Parmi tous ces volontaires ayant choisi de servir la France au cœur de la tourmente, le destin du poète américain Alan Seeger a marqué les esprits de son époque et son exemple reste, aujourd’hui encore, source d’inspiration et de respect pour l’homme, pour l’artiste, pour le guerrier qu’il fut jusqu’au bout.

Alan Seeger est né à New York, le 22 juin 1888. Après un bref séjour au Mexique, il intègre l’université de Harvard en 1906. Attiré par les lettres, il compose des poèmes et des chroniques pour le journal de son université. En 1910, il s’installe à New York avant de déménager pour la France. À partir de 1912, il réside dans le Quartier Latin, en face du musée de Cluny, et mène une vie d’artiste bohème, fréquentant les étudiants et artistes parisiens, publiant ses textes dans le « Mercure de France » et autres revues. La déclaration de guerre le surprend à Bruges, en Belgique, où il tente de faire publier « Juvenilia », un recueil de ses poèmes. Laissant le manuscrit à l’imprimeur, il rentre précipitamment en France et s’engage dans la Légion Etrangère.

En plus d’être de tous les combats avec son unité, il écrit toujours inlassablement des lettres et des poèmes expliquant son engagement et sa fierté de combattre pour la France. Ces témoignages seront publiés dans la presse d’outre-Atlantique et contribueront à faire connaître à ses compatriotes la réalité de cette guerre dans laquelle ils ne sont pas encore impliqués. A sa sœur, il confie : "il n'y a dans la nature que deux principes, l'amour et la lutte… De toutes les formules que revendique ma jeunesse, celle dont je suis resté partisan comporte trois catégories : soif de science, soif de sentiment, soif de puissance", et poursuit dans son journal "Je me suis engagé pour que la France et spécialement Paris que j'aime ne cessent pas d'être la beauté qu'ils sont."

Alan Seeger est bientôt nommé caporal. Il suscite l’admiration de ses camarades par son énergie infatigable, sa générosité, sa bravoure, son mépris de la mort. En 1916, le RMLE doit participer à l’offensive de la Somme. L’objectif de l’attaque est le petit village de Belloy-en-Santerre. Seeger écrit sa dernière lettre le 28 juin 1916 :

"Nous montons à l'attaque demain ; ce sera probablement la plus grande affaire encore entreprise. Nous aurons l'honneur de marcher dans la première vague. Pas de sac mais deux musettes, toile de tente roulée sur l'épaule, profusion de cartouches, de grenades et baïonnettes au canon.

Je vous écrirai si je m'en sors ; sinon, mon seul souci terrestre est pour mes poèmes.

Je suis content de marcher dans la première vague. Quand on est dans de telles affaires, le mieux est d'y être en plein. Et ceci est la suprême expérience."

Le 4 juillet, jour de l’assaut sur le village, deux bataillons s’élancent au petit matin à travers les champs de blé, baïonnettes au canon. Immédiatement, les mitrailleuses allemandes ouvrent un feu d’enfer qui éventre les compagnies de tête. Le caporal Alan Seeger, frappé à plusieurs reprises, s’effondre dans le no man’s land. Grièvement blessé, mais toujours conscient, il reste allongé sur le sol, interpelle et rassure ses camarades d’infortunes, eux aussi immobilisés entre les lignes. Les blessés et les morts s’amoncellent bientôt sur le terrain battu par le feu des armes automatiques ; officiers et sous-officiers sont presque tous mis hors de combat. L’attaque va-t-elle échouer ? Non ! Soudain, prés du village, le clairon d’un légionnaire sonne la charge. Répondant à l’appel, les gradés crient « A l’assaut ! » et, galvanisés, d’un seul élan, les survivants du 3éme Bataillon s’emparent de Belloy-en-Santerre.

"À ce moment-là, écrira plus tard le Capitaine de Tscharner, qui vient d'être grièvement blessé, il se passa quelque chose de sublime parmi les blessés et les mourants : on entendit soudain un cri vibrant : Ils y sont … Belloy est pris !... Vive la Légion ! Vive la France ! C'étaient les légionnaires qui prenaient leur part de victoire."

Toute la nuit, les troupes retranchées dans le village doivent repousser les contre-attaques ennemies, incessantes. La situation est plusieurs fois critique, mais les hommes tiennent bon.

Toute la nuit, Alan Seeger agonise, car il est impossible de secourir les blessés. Seul, dans l’obscurité, mourant, ses camarades l’entendent chanter des chansons traditionnelles françaises puis, peu avant l’aube, sa voix s’éteint enfin.

A 4h45, un ultime assaut allemand de plusieurs compagnies est repoussé. La lutte pour le village est terminée. Lorsque le jour se lève, on peut enfin ramasser les morts et les blessés, parmi lesquels on retrouve la dépouille du caporal Seeger. Il avait 28 ans. Les corps sont regroupés et enterrés sur place mais le lieu exact de la fosse commune sera détruit plus tard par les bombardements.

Pour prendre Belloy-en-Santerre, le RMLE a perdu 25 officiers et 844 sous-officiers et légionnaires pour un effectif de 2000 hommes avant la bataille.

À la fin de la guerre, le père d’Allan tentera de retrouver sa sépulture, mais sans résultat. Lorsque l’église du village sera reconstruite, il fera don d’une cloche frappée du nom de la mère du poète, en souvenir du sacrifice de son enfant.

En janvier 1917, la Comédie Française organisera une cérémonie d’hommages aux volontaires américains morts pour la France au cours de laquelle des poèmes de Seeger furent lus au public.

En 1923, un monument leur rendant hommage sera érigé à Paris, place des États-Unis. La statue de bronze qui le surplombe est l'œuvre du sculpteur Jean Boucher qui a travaillé d'après une photographie d'Alan Seeger. De chaque côté du socle sont reproduites deux citations du poète :

"…Ils ne poursuivaient pas de récompenses vaines, ils ne désiraient rien que d'être sans remord, frères des soldats bleus, à l'honneur à la peine et de vivre leur vie et de mourir leur mort…"

"… Salut frères, adieu grands morts, deux fois merci. Double à jamais est votre gloire d'être morts pour la France et d'être morts aussi pour l'honneur de notre mémoire…"

Véritable héros, soldat exemplaire, légionnaire fidèle aux plus glorieuses traditions de son unité, bon camarade, symbole particulièrement émouvant de l’amitié entre la France et les États-Unis, Seeger était aussi un poète talentueux, artiste et homme d’action, symbole du respect de la parole donnée et du don de soi. Son destin tragique eut un grand retentissement en France comme dans son pays d’origine.

Voici son poème le plus connu, « I have a rendez-vous with death », traduit par André Rivoire :

J'ai un rendez-vous avec la Mort

Sur quelque barricade âprement disputée,

Quand le printemps revient avec son ombre frémissante

Et quand l'air est rempli des fleurs du pommier.


J'ai un rendez-vous avec la Mort

Quand le printemps ramène les beaux jours bleus.

Il se peut qu'elle prenne ma main

Et me conduise dans son pays ténébreux

Et ferme mes yeux et éteigne mon souffle.

Il se peut qu'elle passe encore sans m'atteindre.


J'ai un rendez-vous avec la Mort

Sur quelque pente d'une colline battue par les balles

Quand le printemps reparaît cette année

Et qu'apparaissent les premières fleurs des prairies.


Dieu sait qu'il vaudrait mieux être au profond

Des oreillers de soie et de duvet parfumé

Où l'Amour palpite dans le plus délicieux sommeil,

Pouls contre pouls et souffle contre souffle,

Où les réveils apaisés sont doux.


Mais j'ai un rendez-vous avec la Mort

A minuit, dans quelque ville en flammes,

Quand le printemps d'un pas léger revient vers le nord cette année

Et je suis fidèle à ma parole:

Je ne manquerai pas à ce rendez-vous-là.

POUR EN SAVOIR PLUS :

- Le lecteur pourra consulter (en anglais) les poèmes d’Alan Seeger sur ce site.

- L’Amicale des Anciens de la Légion Étrangère de Paris a publié, sur son excellent site, un très bel et émouvant hommage à Seeger, écrit par Benoît Guiffray et Jean-Michel Lasaygues, dont je me suis largement inspiré pour écrire ce texte.

- Sur You Tube, une vidéo (en anglais) présente la vie du poète pendant la guerre.


Note personnelle : merci à toi, Pascal, pour m’avoir fait redécouvrir ce grand homme à travers ton roman. Avec toute mon amitié.