Avec les petits virus d’un côté et la réforme des retraites de l’autre (sujets qui vont peut-être fusionner dans les prochains jours si l’épidémie se répand franchement), c’est sans grandes célébrations qu’une nouveauté pourtant notoire aura été introduite tout récemment en France : depuis ce lundi 24 février, il est désormais possible dans certains départements de payer ses impôts chez les buralistes.
La mesure, actuellement en test, devrait s’étendre progressivement à l’ensemble du territoire français à mesure que les bureaux de tabac rejoindront la grande farandole des établissements déjà capables de gérer avec bonheur le paiement des amendes, impôts et factures de service public. Au passage, on notera que c’est le même terminal de paiement que celui utilisé par la Française des Jeux (« le Loto, c’est facile, c’est pas cher et ça peut rapporter gros ») qui servira pour ces nouvelles opérations. Cela donne décidément un cachet unique à la collecte de l’impôt, qui, à l’exact opposé du célèbre jeu, est complexe, coûte fort cher et ne rapporte plus que des tracas.
Car pragmatiquement, cela permet aussi au petit ministre de fermer tranquillement les officines fiscales réparties sur le territoire : il pourra aisément se vanter des économies de personnel, de maintenance de ces bâtiments souvent vétustes et de sécurisation qu’entraîne ce report d’une charge régalienne vers les buralistes. Oui, tout ceci s’inscrit fort bien dans le contexte où l’État continue consciencieusement de dépenser toujours moins dans son travail de base régalien et toujours plus en fanfreluche vivrensemblesque et autres artifices sociétaux débiles.
On ne sera pas plus étonné de l’enthousiasme mesuré mais bien présent de la Confédération des buralistes qui a participé, avec la Française des Jeux, à l’appel d’offre pour ce nouveau service : « Ça a toujours été dans l’ADN des buralistes d’être des préposés de l’administration » d’après Philippe Coy, président de cette Confédération et qui démontre ici que la douillette fonctionnarisation de tout un pan de la société semble véritablement le but ultime d’un nombre croissant (et inquiétant) d’individus de ce pays qui ont apparemment abandonné toute idée de faire simplement du commerce.
Force est d’ailleurs de constater que cette titularisation masquée n’a rien d’aberrant dans un pays où l’État a absolument tout fait pour saboter minutieusement le travail de ces buralistes : entre le tabassage fiscal et social des commerces de proximité (que j’évoque régulièrement dans ces colonnes), les contraintes toujours plus nombreuses surtout pour le commerce de tabac, les taxes délirantes sur les cigarettes, jusqu’aux obligations de faire disparaître toute publicité puis celles de plus en plus infamantes pour rendre le produit aussi peu attractif que possible, tout a été fait pour que le buraliste moyen se retrouve à ne surtout pas vendre ses produits et doive ainsi se retourner vers ce que l’État n’a pas encore lourdement sanctionné.
Tout se passe exactement comme dans une magnifique application du dicton de Reagan « Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, règlementez-le et si ça ne bouge plus, alors subventionnez-le » : après avoir durablement affaibli le chiffre d’affaires des bureaux de tabac au point qu’ils ferment un peu partout en France, voilà l’État qui devient l’un de leur partenaire privilégié.
Une mafia qui viendrait casser vos genoux si vous ne payez pas le pizzo, puis vous alimenterait ensuite en clients une fois que vous ne pourrez plus travailler que pour elle n’aurait pas fait autrement que l’État français avec les buralistes. Et puis c’est vraiment chou de sa part de les payer, finalement (1,5€ la transaction apparemment).
Enfin, et le petit Gérald Darmanin en frémit d’aise, cette extension rapide du nombre de pompes fiscales offre un avantage que les habituelles trésoreries publiques ne pourront jamais offrir : ces commerces sont à la fois proches du contribuable, et surtout ouverts à des horaires compatibles avec leur vie courante !
Quelque part, tout ceci est l’aveu magnifique que les services publics de base, régaliens et essentiels même à la nature de l’État français, sont suffisamment impénétrables au commun des mortels pour devoir trouver un tel expédient capable de s’adapter à leurs horaires. Il était apparemment impossible d’imaginer des permanences fiscales à des horaires et des jours compatibles avec la vie normale de ceux qui paient pour leur existence et celle des fonctionnaires qui y travaillent.
Oh, bien sûr, le calcul des impôts, les réclamations et les cas particuliers seront toujours traités par les agents assermentés, soigneusement rangés dans les rares centres de finances publiques qui resteront en activité ; mais leur éloignement de plus en plus grand et leur disponibilité de plus en plus faible garantissent un nouveau confort pour le fisc français qui sera ainsi nettement moins exposé aux éventuels tracas d’un peuple mécontent. Pratique, décidément.
Difficile d’obtenir une illustration plus criante du décalage entre l’Occupant intérieur et la population qu’il ponctionne, ne trouvez-vous pas ?
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