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Street & Studio (3) : la pose

Publié le 18 juillet 2008 par Marc Lenot

Vous aimez être pris en photo, vous ? Vous aimez poser devant un objectif, tenter vainement d'avoir l'air naturel, hésiter sur le fait de sourire ou pas, de regarder l'objectif ou la ligne bleue des Vosges, obéir tant bien que mal aux injonctions du photographe ("mais ayez donc l'air naturel !") ? Moi, je déteste ! Je n'aime rien tant que les photos impromptues de moi, et me sentir contraint, en représentation, posant, en somme, me met mal à l'aise. Et, du coup, mes 'portraits' sont rarement bons. Le portrait posé est à la fois une affirmation sociale de soi et une révélation involontaire de son intime; il est aussi à l'intersection du privé et du public.

C'est toute la problématique de la pose, bien ex-posée dans le volet "studio" de cette exposition (à la Tate Modern à Londres jusqu'au 31 Août, puis à l'excellent Folkwang Museum d'Essen d'Octobre à Janvier), et la contribution au catalogue de Susanne Holschbach ('The Pose : Its Troubles and Pleasures', p. 171-177) m'a beaucoup inspiré. Et aussi celui qui a écrit : "Si je pouvais'sortir' sur le papier comme sur une toile classique, doué d'un air noble, pensif, intelligent, etc.! [...] Je voudrais en somme que mon image, mobile, cahotée entre mille photos changeantes, au gré des situations, des âges, coïncide toujours avec mon 'moi' (profond, comme on le sait)"

Street & Studio (3) : la pose
Certains savent poser, parfois naturellement, le plus souvent après un apprentissage de la maîtrise de leur représentation, qu'ils soient hommes illustres, stars ou modèles (même si le modèle de photo de mode n'est plus une 'personne' en elle-même mais seulement une 'personnification accidentelle'). A la différence du pauvre Joseph Ackermann, 37 ans, terrorisé devant l'objectif, Théodore de Banville, photographié pour la Galerie Contemporaine par Emile Tourtin en 1876/80 projette une image d'auto-satisfaction ; son regard lointain est prudent mais aiguisé, ses mains croisés sur son bedon affirment son contentement.
Street & Studio (3) : la pose
Voilà un homme sûr de lui, de sa valeur et de son image. Voilà un homme qui sait poser.

La pose est aussi aisément détournée, moquée, trafiquée, ainsi avec Cindy Sherman, ou, de manière plus drôle, avec le Camerounais Samuel Fosso, qui se met en scène de manière frontale, libérant ses fantaisies créatives (ci-contre, La femme américaine libérée, hors exposition).

D'autres adoptent une pose, se conforment à une image pré-établie

Street & Studio (3) : la pose
comme ces jeunes filles dans une boîte de nuit sur une vidéo et des photos ( The Liverpool Buzz Club, 1996; visible cet automne au Musée de Rochechouart) de Rineke Dijkstra, pathétiquement conformes. Mais la caméra ici ne fait que révéler ce conformisme, qui existe de par lui-même : nous nous habillons, nous nous maquillons, nous bougeons en nous conformant à des images, en nous voyant à travers les yeux d'autrui, les objectifs d'autrui.

Street & Studio (3) : la pose
Certains photographes aussi savent mieux que d'autres révéler la 'vraie' nature de leurs modèles, parfois en saisissant 'l'instant décisif', parfois au moyen d'artifices, tel Philippe Halsman qui fait sauter ses modèles : "se concentrant sur le saut, le sujet ne peut en même temps contrôler son expression, son masque tombe, son réel devient visible". Un certain réel en tout cas. Ici le photographe Edward Steichen, les yeux clos, les poings dressés : le connaissons-nous mieux pour autant, ou n'est-ce qu'un artifice ? Comme tout portrait posé ?

En conclusion de ces trois billets, une exposition très intéressante, plus riche dans sa partie historique que dans sa présentation de photos contemporaines, mais fort bien argumentée.


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