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(Echos) Siegfried Plümper-Hüttenbrink, Annotations & Citations, 3, "Autour du blanc et d'un poème de Béatrice Bonhomme"

Par Florence Trocmé

Annotations & Citations (3)
(autour du blanc et d’un poème de Béatrice Bonhomme).

Oui comment faire le blanc
Dans le visage et sous les paupières ?
Trouver ce moment
D’absolu
Où les couleurs veulent se mêler
Pour rejoindre le blanc.
Comment parvenir à cet instant de blanc
Sans avant et sans après ?
Dire ce qui ne peut être dit
Peindre ce qui ne peut être peint
Dans l’aporie de la blancheur.
Oui atteindre le blanc
Sans visage et sans nom,
Sans paupières et sans yeux.
Béatrice Bonhomme, Les boxeurs de l’absurde, L’Étoile des limites, 2019,

SPH
* Blanche-Neige ou blanc de neige. Blanc d’œil, d’œuf, de boudin ou de perle. Blanc friable de la craie qui poudre et du sucre qui fond. Écume saline d’Aphrodite. Poussière blanche des sels cristallins. Blanc neigeux qui vire en boue. Blanc de plomb, et qu’il faut mieux éviter car il devient noir avec le temps au dire de Cennino Cennini dans son Il Libro dell’Arte. La survenue du blanc est protéiforme.
* Derek Jarman note dans son livre Chroma que « tous les blancs, à l’exception des apprêts à base de craie comme le gypse, sont des oxydes de métal. Le blanc est métallique et toxique ». Il note encore qu’en 1918, alors que le monde est en deuil, Kasimir Malévitch peint son Carré blanc sur fond blanc, initiant un rituel funéraire dans l’histoire de la peinture. À la même époque le blanc titane venait d’être découvert. Et la lumière laiteuse du néon s’en suivit. Quant au tableau monochrome de Malevitch, il met en jeu deux blancs d’origine différente au dire de Denys Riout : - « l’un froid et très légèrement bleuté, pour le carré; l’autre chaud et un peu ocre, pour le fond ».

*Je ne sais si ce qui surgit en blanc est en mesure de brouiller la vue, voire de l’annuler.
Si bien qu’atteindre le blanc n’irait pas sans une sorte de black-out mental qui vous fait perdre visage et nom. Ce qui se vérifie dans les cas d’évanouissement, juste avant de chuter et de perdre connaissance. La tête vous tourne, la vue se trouble, l’oreille bourdonne. Tous les sens sont tendus à rompre d’être sur le point de défaillir. Un White Spirit est visiblement à l’œuvre. 
* Si quelque chose comme une vision du blanc et de son évidement est envisageable, sans doute est-ce par le terme anglais de « Whiteout » ? Il désigne un phénomène optique dû à l’atmosphère qui règne en milieu polaire, par temps de blizzard, de tempête neigeuse ou de brouillard. Tout baigne alors dans une lumière galactique au fort de laquelle la visibilité est quasiment nulle. Plus rien n’est discernable, même l’horizon se dissout à vue d’œil. Seul du blanc reste visible, et au risque d’y perdre la vue, tout en se perdant soi-même de vue dans son propre champ visuel. Ce trouble de la vision est restitué par certains films d’Antonioni (Le Désert rouge, Identification d’une femme) où les acteurs sont subitement immergés en plein brouillard. Ils continuent à se parler, mais sans pouvoir se voir, comme le feraient des aveugles se hélant à la cantonade.  
* Paul Klee dit dans ses Cours du Bauhaus que « le blanc avale les reflets ». Mais que fait-il des
ombres ? Il n’en souffle mot. Il précise toutefois pour qui voudrait se mettre à visionner du blanc, qu’il augmente le silence et qu’il est tout comme le noir en mesure d’aveugler. Comme si quelque Whiteout était concevable, à l’instar d’un Black-out dont on sait qu’il désigne communément un oubli ou un moment d’absence lors duquel l’on s’est perdu de vue. Autant dire un trou noir. Mais quid d’un trou qui serait blanc ? De quelque White-out ? Se résumerait-il à ce qui est laissé en blanc ? À quelque trouble de la vision ? Ou n’est-ce pas plutôt une tache blanche appliquée sur du blanc ? Ou encore un effaceur, dit aussi « correcteur liquide », permettant de blanchir une inscription erronée ? Ou ce que nous en dit le poète et cinéaste iranien Abbas Kiarostami sous la forme abréviative d’un haïku et qui n’est pas sans restituer l’esprit du Whiteout.
Un poulain blanc
sort du brouillard
et disparait
dans le brouillard

* Comment rendre du blanc visible et presque palpable pour un œil, mais aussi audible pour une oreille ? Une amorce de réponse pourrait sans doute nous livrer un livre de Dominique Fourcade intitulé : - son blanc du un. Outre d’irradier, le blanc peut aussi surgir par une simple pause sonore comme dans les pièces brèves d’Anton Webern. Un blanc abyssal, et qui n’est pas sans s’apparenter à un vacuum acoustique au fort duquel le moindre son semble doué d’apesanteur.
* Quelqu’un un jour se mit à lire de vive voix. On le voyait à sa bouche qui articulait. Il en sortait même des vocables, mais qui semblaient voués à rester sans destinataire. Ce qu’il lisait de vive-voix était pourtant dument inscrit, noir sur blanc, dans un livre qu’il avait sous les yeux et dont il tournait au fur et à mesure les pages. À intervalles réguliers, il dut toutefois interrompre sa lecture, comme s’il lui fallait indiquer par un temps de pause des blancs qui survenaient dans les pages du livre qu’il avait pour charge de lire. Pour mesurer et fixer la durée de ces blancs sous forme de silence, on sait qu’il eut recours à un chronomètre. Dira-t-on qu’il lui fallait alors « opérer à blanc » sur fond de silence, et ce l’aide de son souffle qui restait tu ? Laisser en blanc ce qui dut rester inécrit et qui continue toujours à sourdre en filigrane dans l’écrit ? Toujours est-il que du blanc se fit audible, et ce en prenant la forme visible d’un silence, Comme si ouïr un blanc revenait à voir du silence, à le rendre visible.
©Siegfried Plümper-Hüttenbrink, texte et image (que l'on peut agrandir par un simple clic sur cette image).
vendredi 31 janvier 2020


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