Il est difficile de tracer une ligne de séparation nette entre certaines pastorales, où le paysage tient une grande place, et les tableaux à dominante paysagère, mais presque toujours peuplés de personnages bucoliques.
Les pendants de paysage chez Boucher sont relativement répétitifs. La plupart ont pour sujet une paire de constructions :
- colombier et moulin ;
- pont, digue ou portail, et moulin ;
- On compte seulement deux pendants paysagers sans moulin.
Colombier et moulin
Boucher, 1739
Dans ce tout premier pendant paysager, Boucher juxtapose deux constructions qu’il reprendra ensuite à de nombreuses reprises :
- le caractéristique Moulin de la Chaussée à Charenton (voir Quiquengrogne et autres moulins de Charenton (1/2)) ;
- un colombier de forme circulaire.
1747, Gravures de Ph. Le Bas d’après Boucher
La juxtaposition des deux constructions est peut être purement topographique : à en croire cette paire de gravures de Ph. Le Bas, elles se situaient toutes deux à Charenton.
Boucher, 1750, Collection privée
Boucher reprend ici l’idée de son pendant de 1739 : associer un colombier et un moulin. Mais au lieu du si caractéristique moulin de la Chaussée, il choisit un modèle à roue latérale parfaitement anonyme. Noter le second moulin qui, dans le pendant de gauche fait jonction avec le pendant de droite (comme le panier fleuri dans le pendant pastoral de 1767).
Boucher, 1764, Cincinnati Art Museum
Ce pendant,avec ses deux ponts de bis encadrant un pont de pierre, crée une sorte de paysage continu : l’espace entre les deux tableaux fonctionne comme une île entre les deux branches d’une rivière.
Boucher 1766, collection privée
Autre construction et moulin
Boucher, 1751, Louvre
Dans ces deux dessus de porte réalisés pour la chambre à coucher du cardinal de Soubise, le thème du moulin est maintenant associé à celui du pont. On trouve ici deux motifs de jonction :
- le second pont dans le tableau de gauche ;
- la seconde maison dans le tableau de droite, qui rappelle la silhouette du moulin.
En contrebas, une femme et son enfant ; sur le pont un homme avec un bâton ; dans les deux panneaux un chien aboie, vers le bas où vers le haut.
Ainsi la composition suggère qu’il s’agit d’un même paysage sous deux points de vue décalés, tandis que les détails prouvent que les deux maisons, les deux ponts et les personnages sont différents : ainsi sont satisfaits à la fois le besoin de continuité et le goût pour la variété.
Boucher, 1756, collection privée
Ce pendant atypique montre deux moulins, l’un vu de loin (dont la roue semble arrêtée) et l’autre vue de près (dont la roue tourne).
Les deux scènes animées semblent purement anecdotiques :
- une femme avec son enfant regarde, depuis la digue, le passeur qui accoste à l’autre rive avec une femme et un enfant ;
- la meunière observe depuis la porte la servante qui fait la lessive.
La logique du pendant (SCOOP !)
La logique semble être ici d’opposer deux modalités de la rivière :
- le château fort qui contrôle la route attire l’attention sur la digue qui bloque la rivière : passive, celle-ci sert seulement de frontière entre les deux couples ;
- libérée, elle fait son travail, comme la blanchisseuse fait le sien.
Boucher 1766, collection privée
Boucher déclinera la même opposition sept ans plus tard, en appariant le moulin avec une autre scène calme où la rivière joue ici encore un rôle de frontière : cette fois entre le couple de femmes et un jeune garçon avec son chien. La fortification rustique, à gauche, n’est pas un portail, mais un pont qui passe sur un affluent de :la rivière.
Boucher 1769, collection privée
Pratiquement le même pendant, mais les deux femmes avec enfant sont sur la même rive, à côté d’une construction rustique qui est bien, cette fois, un portail.
Paysages sans moulin
Boucher, 1740
Mais Boucher ne s’intéresse pas à la reproduction fidèle du réel : la plupart de ses paysages sont conçus comme des décors de théâtre, recomposés en patchwork à partir d’études d’après nature :
- ici le premier tableau juxtapose plusieurs espèces d’arbres qui ont peu de chance de se trouver ensemble (pin parasol, chêne, sapin) ;
- le second tableau fait cohabiter un moulin à roue latérale bien français, adossé au colombier en ruines, avec le Temple de Vesta de Tivoli.
L’idée de ce pendant semble être d’opposer la rudesse de la nature sauvage, où se risquent seulement des soldats, et la paix de la campagne civilisée.
Boucher 1764
Le titre de ces deux pendants est vaguement suggéré par quelques détails:
- dans le premier tableau, la cheminée fume encore et un linge est mis à sécher à la fenêtre ; le couple près de l’âne chargé évoque le départ pour le marché, le berger près des bêtes celui du troupeau pour les champs
- dans le second tableau, la cheminée fume déjà et une femme fait la lessive en haut des marches, tandis qu’un passant arrive par la gauche, son baluchon sur l’épaule.
Remarquons que Boucher n’a pas marqué clairement la position de la lumière, qui est en général opposée dans les pendants Matin / Soir (voir Pendants paysagers matin soir). Par ailleurs, l’insistance sur l’opposition des feuillages vert et jaune, ainsi que la présence des colombes dans le premier tableau, militent plutôt en faveur d’une opposition de saison.
Au final, cette indécision savamment entretenue enrichit le pendant, laissant le spectateur choisir l’opposition qui lui convient :
- Matin / Soir,
- Départ / Retour ou
- Printemps / Automne.
Trois thèmes pour le prix d’un…
Autres pendants
Boucher, Musée de Picardie, Amiens
La Chasse au Tigre fait partie d’une série des Chasses étrangères, commandées en 1736, pour décorer les Petits appartements du Roi, à différents artistes :
- La chasse au lion, De troy
- La chasse à l’éléphant, Parrocel
- La chasse chinoise, Pater
- La chasse à l’ours, Van Loo
Des cinq tableaux, celui de Boucher est le seul à comporter une diagonale marquée, ce qui laisse supposer qu’un pendant était envisagé dès l’origine.
Lorsqu’il fut finalement commandé en 1739, sa composition s’inscrivit dans une parfaite symétrie, le zigzag du corps du crocodile venant astucieusement prolonger celui du Nil.
Boucher, 1742, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe
Boucher, 1742, Collection privée
Réalisés pour le fumoir du financier Pierre Paul Louis Randon de Boisset, les deux peintures « découvertes » masquaient les deux peintures « couvertes » de manière à ménager, pour les spectateurs éclairés, le plaisir de la surprise et celui de la comparaison.
Dans la version honnête, la fille en rose s’occupe d’un garçonnet et la fille en vert de son petit chien, sous l’oeil d’un indiscret qui l’épie à travers une vitre.
Dans la version malhonnête, les deux filles ne s’occupent que d’elles-mêmes, se soulageant l’une dans une chaise percée , l’autre dans un bourdaloue. A elles deux, elles composent un fantasme libertin complet, cul et sexe, solide et liquide.
Peut-être le voyeur du fond est-il sensé observer la fille dans un miroir ; mais on peut tout aussi bien supposer qu’il constitue une sorte de repoussoir comique puisque, d’où il est placé, en aucun cas il ne voit rien, à la différence du spectateur.