Magazine Culture
Prendra-t-on un jour conscience du talent dont Pierre Pelot
fait preuve dans ses romans ? Ou bien est-il à jamais disqualifié par ceux
qui méprisent la littérature « de genre » qu’il a beaucoup
pratiquée ? A moins que son choix de rester loin des réseaux parisiens
suffise à le faire ignorer ? Quoi qu’il en soit, si on prend la peine de
lire Braves gens du Purgatoire, sa
dernière publication au format de poche, on prend aussi le risque d’oublier quelques idées
reçues. Ce serait tant mieux…
Car il y a ici non seulement un scénario solide et complexe,
non seulement les splendides décors sauvages des Vosges qu’il connaît comme sa
poche, mais aussi une écriture fluide et recherchée qui mérite d’être goûtée à
petites lampées. Elle se tient à la frontière de la préciosité sans jamais s’y
laisser aller, elle impose la précision de ce qu’elle exprime dans des phrases
balancées, et sur plus de 500 pages, avec un sens du rythme jamais pris en
défaut, qui en remontrerait à bien des écrivains autrement célébrés.
Voici, par exemple, la scène puissante d’une réunion où
viennent boire et manger ensemble celles et ceux qui ont assisté à
l’enterrement de Maxime et de sa compagne Anne-Lisa, le premier s’étant suicidé
après avoir tué la seconde, pense la police (mais pas le lecteur, qui a assisté
aux événements). Dans la salle, soudain, un moment de tension : « Ceux
qui s’étaient levés un instant auparavant s’étaient approchés et formaient avec
d’autres qui les avaient rejoints une certaine quantité, un volume encore
hésitant et en suspension de fulmination contenue. »
Cette « fulmination contenue » est sombre comme un
nuage lourd prêt à déverser une averse orageuse sur nos têtes. Elle vient de
loin, d’un passé boueux dont beaucoup connaissent certains pans mais dont bien
peu, et encore la plupart sont-ils morts, ont une vision complète. Les actes
commis autrefois remuent encore à travers des conséquences inattendues – et qui
resteront incompréhensibles jusqu’au moment où toutes les clés seront fournies.
Une phrase suffit à Pierre Pelot pour décrire l’état de déliquescence où se
trouve le présent : « Mûris de cet humus noir profondément pourri,
les fruits poisons tombaient de l’arbre aujourd’hui. »
Découvrir Pierre Pelot
alors qu’il a publié plus de deux cents romans ? Il n’est jamais trop
tard.