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Comment penser une ville accueillante à l’égard des personnes en situation de handicap ?

Publié le 26 février 2020 par Franckbaty @Bouygues_C
Ville

Comment penser une ville accueillante à l’égard des personnes en situation de handicap ? Quinze ans plus tard, l’enjeu reste le même, mais les approches ont évolué. Exit, les méthodes focalisées sur la seule conformité technique des bâtiments, des espaces publics et des transports. La grille de lecture des acteurs est désormais celle de la ville inclusive : œuvrer pour l’accès de tous, sans restriction, aux espaces urbains et services. Avec pour objectif de répondre à l’ensemble des besoins et désirs de la population et de leur donner une place centrale dans les processus de gouvernance, quelles que soient leurs contraintes ou leurs capacités physiques ou cognitives. Dit autrement, il s’agit de lever tous les obstacles urbanistiques ou sociaux qui empêcheraient certains citoyens de participer à la vie de la communauté.

Un enjeu de taille puisque les personnes handicapées sont touchées par diverses formes d’exclusion. En 2015, le Défenseur des droits pointait ainsi le handicap comme la deuxième cause de discrimination à l’embauche. La ville elle-même, dans sa structure et son organisation, est susceptible d’amplifier certaines contraintes et capacités réduites des personnes handicapées.

Les limites du principe d’accessibilité universelle

Longtemps, la réponse a pris la forme d’équipements ou d’aménagements cherchant à supprimer les situations handicapantes suivant un principe d’universalité ou de « tout accessible ». Une approche qui a toutefois montré ses limites comme en témoigne la réglementation en matière de logement. On estime à 5 mètres carrés par appartement(1) la consommation d’espace induite par les normes liées au handicap (adaptation de la largeur des couloirs et des portes pour permettre la circulation et la vie en autonomie d’une personne en fauteuil roulant dans toute l’unité de vie) : l’intention – louable – de départ de s’adapter à tous se révèle inadéquate pour d’autres usagers. Ces normes elles-mêmes ne garantissent d’ailleurs pas l’accessibilité pour tous et doivent souvent s’accompagner d’aménagements pour adapter le logement aux besoins spécifiques de ses usagers (code couleurs pour les malvoyants, sonnette pour les malentendants, douche à l’italienne et barres d’appui pour les personnes à mobilité réduite, etc.). C’est dans ce contexte que la loi ELAN a entériné en 2018 le passage de l’obligation de 100% de logements neufs accessibles aux personnes handicapées à 20%, les 80% restants devant être évolutifs, c’est-à-dire transformables facilement et à moindre coût par des travaux. Une évolution législative décriée par certaines associations défendant les droits des personnes handicapées mais qui invite à repenser nos approches.

Une pluralité de situations de handicap

Derrière « le handicap », trop souvent considéré au singulier, se cachent une grande diversité de réalités et de situations. Le handicap peut être auditif, visuel, mental, psychique, cognitif ou moteur(2). Au quotidien, en ville, ils peuvent se traduire par des difficultés à se diriger dans un environnement inconnu, à communiquer et à lire ou encore à monter des marches d’escalier. En France, 2.75 millions d’adultes présenteraient des limitations fonctionnelles dont 1.86 million de handicapés moteurs . Des données qui n’intègrent ni les enfants (plus de 350 000 élèves en situation de handicap recensés par l’éducation nationale), ni les personnes qui seront confrontées à la perte d’autonomie, notamment les seniors, dont le nombre va augmenter.

Des solutions servicielles et agiles capables de s’adapter à différents besoins et contextes

Pour toutes ces personnes, la ville, parfois synonyme de contrainte et d’exclusion, doit au contraire devenir source d’opportunités, notamment grâce à sa capacité servicielle. Et si « l’accessibilité était un service plutôt qu’une somme d’équipements », comme l’imagine Brice Dury dans son rapport pour la Direction de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon(3), elle combinerait aide humaine, équipements et outils numériques pour proposer la bonne solution au bon moment, en articulant intelligemment le « pour tous » et le sur-mesure. Au moment d’aller faire ses courses en magasin, par exemple, une personne handicapée pourrait avoir recours selon ses besoins à un système de rampe amovible à l’entrée du bâtiment, à un service de commande préalable des achats, à une application l’informant sur les produits en magasin, à une aide humaine (à la lecture, au déplacement, etc.) ou encore à un service de livraison solidaire.

Des solutions inclusives, profitables à tous

Dans la mesure du possible, ces solutions devraient profiter au plus grand nombre, afin de ne pas contribuer au cloisonnement entre le monde du handicap et le reste de la société. L’application Wegoto, qui permet de rechercher l’itinéraire sans obstacle et le plus adapté selon un profil d’utilisateur (cyclistes, personnes à mobilité réduite, malvoyantes, sourdes, etc.) est à ce titre un outil universel, non ciblé et non stigmatisant pour favoriser les mobilités douces.

Changer de perspective : penser la ville en se mettant dans la peau de tous ses usagers

Pour tendre vers cet idéal, les acteurs disposent de nouvelles méthodes pour sortir des sentiers battus de la fabrique urbaine. Parmi elles, l’ « inclusive design » propose d’apprendre des différents handicaps ou de contraintes en vue d’améliorer les interfaces d’un service, d’un équipement ou d’un aménagement et d’inclure le maximum d’utilisateurs possible. Les expérimentations ne manquent pas comme en atteste la démarche de la Ville de Bâle, en Suisse, joliment nommée « Les Yeux à 1,20 m ». Son objectif ? Inciter les acteurs de l’aménagement à prendre en compte les enfants dans la conception de l’espace public. A travers un « Kinderbüro » (bureau des enfants), les enfants co-conçoivent les projets d’aménagement (réaménagement d’une rue, conception d’une nouvelle école, etc.) et sont impliqués dans le processus démocratique. Les résultats sont synthétisés dans un guide qui se présente sous le format d’une toise perforée à 1,20 m afin de voir l’espace depuis la position physique d’un enfant. Un principe similaire pourrait s’appliquer à d’autres profils afin de faire ressortir leurs problématiques d’usages. Le tempo urbain pourrait par exemple être questionné en considérant l’accélération de nos rythmes de vies au regard des mouvements et flux, plus lents, de personnes éprouvant des difficultés à se déplacer.

Donner aux personnes handicapées la capacité d’agir, de concevoir et de décider

Ces approches ont le mérite supplémentaire de placer l’usager dans un rôle légitime mais trop souvent oublié : celui d’expert de son quotidien. Il connaît mieux que quiconque ses contraintes, besoins ou les éventuels conflits d’usages. Aux acteurs de l’accompagner afin de les exprimer et d’imaginer avec lui les réponses les plus appropriées. C’est le sens de l’expérimentation menée par l’association InControl au Royaume-Uni en matière d’affectation des allocations destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées. En partenariat avec les pouvoirs publics, l’association a créé un service permettant aux bénéficiaires de répartir eux-mêmes le montant de leur allocation en choisissant les prestations auxquelles ils souhaitent souscrire. Les prestations choisies ont été relativement différentes de celles proposées dans le circuit classique, avec une forte orientation vers des loisirs orientés « bien-être ». Un exemple réussi d’empowerment.

(1) Le grand flou des logements « accessibles » aux handicapés, Anne-Aël Durand, Le Monde, juin 2018
(2) Enquête Handicap-Santé, DREES et Insee, 2008-2009
(3) Ville et handicap : en finir avec « l’accessibilité », 2011


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