Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais la lecture occupe quelque place dans ma vie. A l'intérieur de cette place trônent en majesté une cinquantaine de livres. Et parmi ceux-ci, L’Équipée malaise de Jean Echenoz.
J’ai beaucoup aimé Jean Echenoz.
C’est à la faveur d’un passage d’Arnaud Viviant dans une émission quotidienne de 21h à 22h30 que je découvris son existence.
Son roman Nous Trois venait de sortir – nous étions donc en 1992 – et monsieur Viviant, après l’avoir suffisamment bien vendu pour que j’envisage de me délester d’une part de mon argent de poche, avait résumé l’affaire en déclarant quelque chose comme « du nouveau roman pas chiant ».
Il est vrai que l’on peut trouver chez Echenoz une sorte de fétichisme de la description, voire de l’objet.
Du reste il s’en justifiait fort bien dans une interview accordée, toujours en 1992, au journaliste Gilles Tordjman dans la revue, alors à parution mensuelle, Les Inrockuptibles :
« Décrire un objet, c’est une manière de description du monde. Si je pose un lieu, une heure de la journée, des objets, il y a forcément des liens de causalité qui se créent et vous amènent au monde, un peu à la manière de ces points numérotés qu’il faut relier entre eux pour faire apparaître un dessin. En littérature il n’y a pas seulement ce qu’on donne à voir. »
Jean-Claude Lebrun, dans son livre consacré à Jean Echenoz paru en 1992, encore, aux Éditions du Rocher, parle d’une « double ligne sur laquelle se construisent les drôles de récits de Jean Echenoz : précision hallucinante du détail et laxisme, pour ne pas dire inexistence de l’intrigue ? Dès qu’il le peut Jean Echenoz gomme sans scrupule ce qui peut ressortir à l’intrigue pure. »
Je sais que c’est justement cette allure de pur exercice de style un peu (trop?) vain qui tient nombre de mes amis éloignés d’Echenoz, peu sensibles à sa virtuosité alambiquée qu’il jugent parfaitement inutile.
Je peux comprendre.
C’est peut-être d’ailleurs ce qui me tient maintenant éloigné de lui. Mon dernier Echenoz fut son Ravel, lu aux environs de 2010. L’envie de m’y replonger ne m’est plus venue depuis, même si j’ai dans l’intervalle acheté le gros de sa production, Madame Mon Épouse étant fort cliente de l’écrivain. (L’affection qu’elle a à son égard s’est même renforcée le jour où elle a lu qu’il se voyait en écrivain géographe devenant, ce faisant, une sorte de collègue.)
J’ai donc sous la main de quoi assouvir un retour de désir dont je pressens, je ne sais pourquoi, qu’il adviendra tôt ou tard.
Peut-être y reviendrai-je par le biais d’une relecture, par exemple de L’Équipée malaise dont il est censé être question dans cette note, installé dans ma mémoire comme mon préféré (alors qu’il ne date même pas de 1992). Roman d’aventure bourré de péripéties, dans mon souvenir drôles et palpitantes, et traversé par une forte histoire d’amour ayant fait vibrer ma corde sentimentale (que j’ai facile aussi).
Je me souviens surtout d’un des personnages principaux, Charles, que la déception amoureuse conduisit à une vie proche de la clochardisation mais qu’une rigueur spartiate et une dignité jamais mise en défaut débarrassent de toute notion de déchéance.
Cette forme de fier retrait du monde dans le dénuement a pour moi quelque chose de fascinant comme d’effrayant. Je veux dire, dans l’instant qui suit immédiatement celui où je lui trouve beaucoup d’allure, la crainte me prend que le destin, cruel et taquin, m’en fasse sentir toute la dureté prochainement.
Le fait même d’avouer cette crainte et donc de la dévoiler, la redouble.
Il me faut maintenant trouver un moyen de conjurer ça, mais le temps presse et votre patience s’use.