Mes cinq orteils comme cinq inconnus qui n’auraient jamais été présentés
se serrent, faussement indifférents, les uns contre les autres
Près de mon lit le téléphone, lien terre à terre avec le monde,
mais je n’ai envie de parler à personne
Ma vie ? Du plus loin que je m’en souvienne, des occupations à ne plus savoir qu’en faire
Ni mon père ni ma mère ne m’ont appris à parler de la pluie et du beau temps
Quarante ans d’écriture incessante avec mes versets pour seul appui
Si l’on me demande : « Au fait, tu fais quoi dans la vie ? « Poète » est la réponse la plus rassurante
Cela dit, c’est curieux
Quand je larguais une femme est-ce que j’étais poète ?
Quand je mange les patates grillées que j’aime, est-ce que je suis poète ?
Des hommes d’entre deux âges comme moi, poètes ou non, on en trouve à la pelle
Je n’ai fait que poursuivre des papillons de mots splendides,
rien d’autre
Gamin ignare
Mon âme de nouveau-né,
toujours candide au point d’ignorer qu’elle a blessé les autres,
s’achemine vers le chiffre cent
La poésie ?
Ridicule !
***
Shuntarō Tanikawa (né à Tokyo, Japon en 1931) – L’ignare (Cheyne,1993) – Traduit du japonais par Dominique Palmé.