La vie ne me fait pas envie
quand vivre ainsi m’est douleur,
car ni mon coeur brille,
ni ma parole s’avance,
je ne suis ni flamme, ni cendre,
ni bûche, ni herbe verte ;
je ne dors ni ne veille,
et ne suis ni en moi ni absent de moi.
Mes yeux perdent leur sang,
– fenêtre de mauvais sort -,
qui s’en vont comme rivières
et, comme larmes, me reviennent
sans connaître dans ma chair
la terre qui les incendie.
Mes lèvres sont desséchées
sans lumière qui les alimente,
sans parole qui les mouille,
sans songe qui s’en souvienne,
le gémissement muet survient,
ombre sans voix de ma mort.
Pareil à un costume sans corps,
mon espace pend aux tempes
d’un homme qui n’est pas oubli,
ni forme de son présent,
ni pomme de l’avenir,
ni mémoire qui le pense.
*
Poema
No tengo envidia a la vida,
que vivir así me duele,
pues ni mi corazón brilla,
ni mi palabra se mueve,
ni soy llama, ni ceniza,
ni leño, ni yerba verde;
ni duermo ni ando en vigilia,
ni en mí estoy ni estoy ausente.
Se me desangran los ojos
-ventanas de mala suerte;
que se me van como ríos
y, como llantos, me vuelven,
sin conocer en mi carne
la tierra que los inciende.
Tengo mis labios resecos
sin luz que los alimente,
sin palabra que los moje,
sin sueño que los recorde,
manando el mudo gemido
sombra sin voz de mi muerte.
Igual que un traje sin cuerpo,
cuelga mi espacio en las sienes
de un hombre que no es olvido,
ni forma de su presente,
ni manzana del futuro,
ni memoria que lo piense.
***
Emilio Prados (1899-1962) – Romances. Destino fiel (1936-1939) – Los caminos del alma / Les chemins de l’âme (Paradigme, 2017) – Traduit de l’espagnol par Jeanne Marie.