Je suis reparti au cinoche la semaine dernière pour voir Queen and Slim. J’avais été accroché par la bande annonce et les affiches dans le métro. Je trouvais ces images belles et l’idée d’une version de Bonnie and Clyde version #blacklivesmatter m'avait séduite. A la différence près que le meurtre du policier de Cleveland est accidentel là où les braquages que Bonnie Parker et son acolyte perpétrèrent dans les années 30 furent prémédités et jalonnés de morts laissés sur le carreau (14 au total). Le parallèle est donc maladroit.
L’histoire
Un homme et une femme se rencontrent dans un restaurant grâce à l'application Tinder. La jeune femme interprétée par Jodie Turner-Smith est avocate. Elle a eu une journée difficile. Elle a le cafard. Son client du jour a été condamné à mort. Elle trouve le système profondément injuste et elle n’a pas envie de passer une soirée seule après cet échec. Slim (Daniel Kaluuya) avec son profil triste lui fait effet. Elle le rejoint et ils échangent assez librement. Ils évoluent dans des sphères différentes. L’un est un employé. Il a une famille sur laquelle il peut s’appuyer. Il est plutôt sympa, décontracté. L’autre, bien qu’ayant un poste de cadre supérieure, avocate de sont état, elle est beaucoup plus sauvage, agressive. A cet instant, il n’est pas question de black love. La belle n’a pas l’intention de conclure sa soirée avec le jeune homme. Sur la route du retour, la discussion est cool. Le mec veut reprendre son téléphone et il fait un petit écart sur l’avenue sur laquelle sa voiture roule. Un écart qui peut être mal interprété. Ils n’en ont pas conscience quand un policier fait son contrôle. Ce dernier va mal se passer. Le policier reste sur le carreau. Enfin, sur le bord de route. Mort.Légitime défense ou pas, ce n’est pas la question. Il faut partir, il faut fuir. C'est l'option prise.
Road movie, de l’Ohio à la Louisiane
Le film bascule. On a alors droit à un road movie. On ressent très peu les effets de la traque policière parce que les fugitifs ont une bonne longueur d’avance. Bon, je ne vais pas rentrer dans les détails. Melina Matsoukas a une manière de filmer qui est très belle. Les plans de la route, des paysages donnent une illusion de liberté. Sur cette route les rencontres sont diverses, complexes, nuancées. Comme lorsque Slim s’arrête à une station d’essence et tombe sur un homme à la caisse de cette boutique qu’on pourrait penser déranger. Il me semble en y réfléchissant que les Blancs que rencontrent Queen and Slim dans leur chevauchée vers Cuba ont des profils extrêmement différents. Le caissier de la station d’essence lui semble fou, fasciné par le pouvoir du Glock de Slim. Il y a une double inversion dans cette scène. Le fugitif est noir et armé. Et le pompiste est censé avoir une arme pour se défendre… Il n’en a jamais eu. Il est subjugué par l'arme de son interlocuteur.En traversant le Sud, ils rencontrent des profils de nègre très différents. Et c’est en cela que le film est justement très intéressant et échappe à un manichéisme rapide et de mauvais aloi. Personne n’est dupe. Leur cavale est suivi sur les réseaux sociaux et par les médias mainstream. Et les soutiens ou les prises de distances diffèrent au sein de la communauté. Il y a ce moment musicalement savoureux où nos deux tourtereaux arrivent dans une boîte où le blues règne en maître. Le son est magnifique, les gens dansent. Les fuyards rentrent. Ils sont identifiés. On leur fait comprendre que le lieu est « safe ». Ils peuvent se poser. Qu’ils peuvent prendre leur temps. Et danser. J’ai pensé à Underground railroad de Colson Whitehead. J’ai pensé à ces phases du roman où l’esclave fuit et où elle a ce sentiment de liberté absolue. On retrouve cet état d’esprit dans ces épisodes où Queen et Slim tentent rejoindre la Louisiane.
L’intime des fugitifs
J’ai aimé la manière délicate, voire pudibonde avec laquelle la romance se développe entre cette femme et cet homme que le public nomme Queen and Slim. Ils s’apprivoisent progressivement. La tension augmente au fil de leur odyssée. Le black love. C’est un sujet qui au coeur des questions des diasporas africaines. Melina Matsoukas l’explore. Queen joue magnifiquement sa partition. Elle est sublime, envoûtante, mystérieuse. Elle a une personnalité beaucoup plus complexe que celle de Slim. Mais l’imminence d’une fin violente ne justifie pas qu’on brûle les étapes de la séduction. Ils sont de toute façon unis par un destin qu’ils n’ont pas choisi. Il y a ce moment où la jeune femme dit ce qu’elle attend d’un homme : Qu’il l’accepte telle qu’elle est, avec ses blessures, ses peines. Qu’il n’ait pas la prétention de les guérir, mais qu’il lui prenne la main et qu’il l’accompagne dans ce chemin où elle trouvera sa guérison. Bon, je vous restitue une idée. Queen a une trajectoire de vie très complexe. Ce qui explique aussi sa sensibilité. Slim est moins complexe. Bien qu’issu d’un milieu modeste, il connait la chaleur d’une famille heureuse dans laquelle il s’est construit.Liberté
L’esthétique du film permet de saisir le contexte oppressif du système américain sur les corps noirs. Ta-Nehisi Coates a parfaitement théorisé ce que le film met en scène dans Une colère noire. Queen & Slim deviennent des héros d’une cause noire malgré eux. On peut discuter des solidarités factices. On peut parler de l’absence d’espérance pour beaucoup d’afro-américains. On peut dire quelques mots sur les épisodes de liberté. Ca semble tellement ridicule quand quelques jours après tu vois Everest à la télévision et que tu mesures, en y pensant que le luxe que c’est de faire un petit tour sur la plus haute montagne du monde quand certains ne peuvent pas sortir d’une ligne de route sans risquer leur vie.Dans ce film, ce qui importe, c’est le cheminement. C’est ce parcours, de deux personnes. J’ai été touché par cette odyssée qui nous donne de saisir la condition d’un noir aux Etats Unis, quelque soit son statut.
Queen and SlimDe Mélina MatsoukasUn scénario de Lena WaitheAvec Daniel Kaluuya, Jodie Turner-Smith, Bokeem WoodbineUniversal Productions, 2019