Sur internet, pas que sur internet mais sur internet surtout, les titres sont faits pour générer du clic.
Récemment l’un d’entre eux en a généré, au moins le mien :
« La science a laissé les vignerons s’embarquer dans l’ésotérisme de la biodynamie ».C’est une blague ?
Vérification faite : non, ce n’est pas une blague, c’est une interview de Jacques Dupont.
Dès l’entame on nous l’y pose « tel un Charles Péguy de la filière vin ». Finalement c’est peut-être bien une blague !?
Je n’ai pas de sympathie pour Jacques Dupont, doux euphémisme dont on trouvera la raison ici même.
J'ai donc lu cette interview avec une certaine méfiance et bien peu de bienveillance. Mais force est d’y constater qu’on est en service minimum, effeuillant la marguerite ni plus ni mieux que bien d’autres … si ce n’est qu’à la fin j’ai une poussée d’urticaire qui finit en éruption quasi volcanique avec le détestable :
« Mon papier est équilibré, je mets en cause la science qui a laissé les vignerons s’embarquer dans l’ésotérisme de la biodynamie. »La science a laissé les vignerons s’embarquer dans l’ésotérisme de la biodynamie ? Ce genre de propos est d’une bêtise abyssale. Mais attaquer « la science » est une activité qui se porte bien de nos jours, en particulier dans la presse, tant grand public que spécialisée (par exemple dans le vin), cette même presse qui tend un micro complaisant à toutes sortes d’ésotérismes – parfois en s’en prenant au passage à « la Science » - sans jamais prendre la peine de rechercher un avis contraire (on pourra consulter l’onglet « presse & media » de ce blog pour en voir quelques beaux exemples).
Les journalises ne font pas leur boulot ?
C’est la faute de la science !
Reste à lire l’article en question en suivant Jacques Dupont sur son terrain de jeu.
"Le crabe aux pinces d'or"-
© Hergé (édition de 1950 (pas l'originale, mais celle de mon grand père))
En fait il y en a bien plus d'un ! il y en a toute une série, sous le titre chapeau : « les nouvelles mythologies du vin ».
Le premier épisode est consultable ici.
Et n’apporte rien de plus que ce que l’on peut entendre au bar « le bilboquet ».
Il y a aussi une vidéo qui couvre l’ensemble des papiers.
Elle finit ainsi :
« c’est que pendant des années on n’a pas enseigné comment travailler en bio dans les lycées viticoles, et l’institut national de recherche agronomique n’a pas non plus travaillé sur la bio. Ca aurait été bien que les scientifiques travaillent un petit peu à chercher si y avait comment aider les vignerons à passer en bio, comment aider les labels, aussi, à évoluer. Là on est toujours sur le cuivre pour soigner le mildiou, c’est pas la panacée le cuivre, quoi. Donc y avait sans doute peut-être d’autre pistes, mais qui n’ont pas été explorées. Et pour travailler en bio, pour travailler propre dans les vignes, on a besoin de la science. »On sera d’accord sur la dernière phrase.
En revanche ce qui précède, c’est guignol. J’y reviendrai par la suite de ce billet.
Episodes 1 et 2 ? sans intérêt.
Je passe donc à l’épisode 3 :
« Un des problèmes que rencontrent ceux qui, dans ces années 1990-2000, veulent apprendre à travailler en bio, c'est que cette méthode de culture n'est pas enseignée dans les circuits officiels. Dans les lycées agricoles, les profs qui vont au-delà de la simple allusion au bio sont alors à peu près aussi nombreux que des poulpes dans une piscine olympique. « L'agrobiologie entre dans les programmes des lycées agricoles et viticoles en 1998-1999. À pas de loup : il ne s'agit pas d'un enseignement faisant l'objet d'un cours, mais d'une approche transversale », écrit Jean-François Bazin dans un ouvrage passionnant et très complet sur la question (Le Vin bio. Mythe ou réalité ?, Dunod). Un peu plus loin, il raconte : « À la mi-2007, je rencontre une étudiante terminant son diplôme national d'œnologie à l'université de Bourgogne. “Non, me dit-elle, on ne m'a jamais parlé de bio ni de la biodynamie durant mes études. Pas un mot… L'hérésie ! Les étudiants le regrettent. Nous aimerions avoir au moins une idée de ces sujets.”» »
Or le bio est abordé dans l’enseignement agricole depuis 1985 ! C’est en effet la date de création de deux certificats de spécialisation ainsi que d’un module du BTA.
On peut estimer que c’est insuffisant, il n’en reste pas moins que c’est bien antérieur au calendrier de J Dupont.
En outre il se trouve qu’avant de devenir œnologue j’ai été en charge d’un BTSA Technologies végétales / Protection des cultures de 1992 à 1996. Un BTSA dans lequel tant le bio que les traitements alternatifs tels que la confusion sexuelle étaient d’une part enseignés et d’autre part vivement recommandés. Et je ne crois pas avoir été un précurseur en la matière.
En DNO, à Toulouse, il y a une journée biodynamie pour chaque promotion et cela dure depuis quelques années maintenant.
Jacques Dupont raconte donc n’importe quoi.
Ensuite me contenter de relever une grosse connerie dans l’épisode 3 :
« Puis, ce n'est qu'à partir de Pasteur que l'on a commencé à vraiment comprendre le rôle des microbes et des bactéries. ».Pour Pasteur le rôle des bactéries est exclusivement néfaste. La compréhension de ce que sont et font les bactéries lactiques est due à Peynaud et c'était à la fin des années 40. Ce qui a mené à un contrôle (balbutiant) au début des années 60 … grosso modo 100 ans après Pasteur.
Aujourd'hui le contrôle reste encore perfectible même s'il est plus accessible. J'ai essayé d'amener mon gravier à cet édifice avec, par exemple :
FUSTER A., KRIEGER S, 2002 : Contrôle de la fermentation malolactique: une approche pratique. Revue Française d’œnologie, n° 194, pages 14-17.
FUSTER A., KRIEGER S., REJALOT J., 2002 : Améliorer la qualité et la typicité des vins à l’aide des nouveaux outils biologiques (Craft in fair Qual & T Project). Revue Française d’Œnologie, n°193, pages 1-4.
Alors oui : la science avance parfois (relativement) lentement. Mais elle avance.
Ce qui n'empêche pas J Dupont d'oser :
« Rêvons un peu. Et si la science et la recherche agronomique, plutôt que de se polariser sur l'obtention de tomates cœur-de-bœuf toutes identiques, au même calibre, mais sans le goût inimitable des variétés anciennes, avaient mis au point un produit compatible avec les labels bio, efficace contre le mildiou, sans danger pour l'environnement… »
C'est facile le coup des tomates en mode retour en force du zinc du bar « le bilboquet » ! c’est aussi, c'est surtout une couillonade sans rapport avec ce qui nous occupe ici ! d’autant que depuis plus de 20 ans diverses équipes travaillent, par exemple, sur les éliciteurs des défenses naturelles ! Les résultats en sont intéressants, et même encourageants.
Simplement le tempo de la science n’est pas celui de la presse, fut elle hebdomadaire.
L’épisode 5 s’intéresse à la biodynamie, à Nicolas Joly et à telle ou telle des préparations biodynamiques.
Je partage donc une partie de l'angle, certainement pas le traitement.
Divers billets de ce blog attestent du peu de sympathie que j’ai tant pour la biodynamie que pour les thèses de Nicolas Joly. Pour autant, je n'adhère pas aux facéties de J Dupont, ça se vérifiera avec l’épisode 6 qui en remet une couche sur la biodynamie. Je passe sur Paracelse, ce n’est pas le vrai sujet … mais voir Paracelse en père de l’homéopathie : il n’y a pas forcément consensus.
Je passe un peu moins vite sur Olivier de Serres qui est lui aussi évoqué :
« Actuellement, beaucoup de domaines, célèbres et sérieux, utilisent des préparations à base d'ortie ou de prêle, se servent de recettes recueillies par Steiner auprès d'agriculteurs ou puisées dans les vieux bouquins d'agronomes (notamment Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs, d'Olivier de Serres, paru en 1600) sans pour autant virer anthroposophes… »Olivier de Serres parsème certains articles de ce blog. On le trouvera par exemple dans celui qui évoque l’histoire du soufre en œnologie
Jacques Dupont évoque chez Olivier de Serres ce qui l’arrange, sans rien citer à quoi l’on pourrait se raccrocher, ce qui n’aide pas à savoir de quoi il peut bien parler ! C'est le cherry picking du pauvre.
C’est encore la biodynamie qui est au menu de l’épisode suivant.
« Nous l'avons écrit plus avant, la biodynamie impose l'observation et la réflexion, l'inverse de ce qui se pratiquait avec les traitements dits « conventionnels ». »Genre en biodynamie (que J Dupont qualifie - à juste titre - de mythologie ésotérique) on réfléchit, alors que les gros boulets bas de plafond qui sont en conventionnel sont tout juste bons à pulvériser tout ce qui bouge et une bonne partie de ce qui ne bouge pas.
Sérieux ?
La différence entre biod et conventionnel c’est qu’en biod on est obligé de réfléchir ?
Une mythologie ésotérique dans laquelle on réfléchit.
De mieux en mieux …
Pas besoin d'être en biodynamie pour être un bon vigneron, mais çà peut aider. Et, en effet, y a des bons vignerons qui sont en biodynamie : faut-il pour autant en faire une règle générale ?
Vivement que Jacques Dupont fasse une enquête sur le petit déjeuner des polonaises !
Je crois en effet que le problème essentiel avec la biodynamie ce n’est pas tant Lucifer, les elfes et les astres (encore que …), pas même les crânes de chatons ... mais plutôt que le système de Steiner est global.
A ce titre il organise et fonde toutes sortes de choses depuis l’agriculture jusqu’à l’éducation ou la santé … en passant par le racisme le plus éhonté qui se travestit sous les atours d'une pseudo science.
« L’âme des peuples » repose sur les mêmes fondations que la biodynamie. Et c’est autrement plus problématique que de faire plaisir aux elfes !
Pour le reste on se référera à mon article dans "En Magnum" 4, un article dans lequel j'aborde conventionnel / bio / biodynamie sous l'angle exclusif des pratiques professionnelles.
L’épisode 10 s’intéresse à certains défauts du vin
« Dans nos dégustations à l'aveugle, nous avons fait le même constat que Daniel Péraldi ou le caviste intervenant sur le site de La Passion du vin. Rares sont les vins sans soufre ajouté lors de la mise en bouteilles qui tiennent la route et le temps. Au minimum, ils présentent des arômes d'oxydation, comme si la bouteille était débouchée depuis plusieurs jours. Au pire, c'est le poulailler, la couverture sous la selle du cheval après le galop, ou encore ce goût de souris, qui évoque le grenier et les vieux journaux où la famille Rongeur a fait son nid »Que faire du sans soufre soit touchy nous en sommes d’accord.
Pour autant ce n'est pas impossible et il y a des sans soufre tout à fait réussis, et même remarquables.
J’ai relativement récemment eu le plaisir d’en déguster certains qui, sans préjuger de ce que sera leur évolution réelle, s’annonçaient aptes à un long vieillissement.
Oui : on peut faire du sans soufre qui ne soit pas que bon à boire et à pisser dans l’année.
Mais il est tout aussi vrai que l’on rencontre une série de sans soufre indignes (en fait il y a des vins indignes dans chaque chapelle), tout comme il est vrai que le discours de certains promoteurs des vins (dits) nature est juste insupportable.
Ça aussi je m‘en suis régulièrement fait l’écho ici ou là sur ce blog.
Avec quelques temps de retard, J Dupont semble le découvrir et partage sa découverte. Pendant qu’il découvre l’évidence, la science avance.
Elle n’est pas rancunière (moi si).