Je comprends ce prof

Publié le 18 juillet 2008 par Nicolas J
En commentant le billet de Mathieu à propos de ce prof qui s’est suicidé, j’ai été – comme à mon habitude – péremptoire et j’ai écrit ceci : « Je sais ce que c'est. Je vais en faire un billet. ». Me voilà obligé de le faire. Ca m’apprendra.
Rappelons juste que ce prof accompagnait les mômes lors de la sortie en car, en juin, où 7 d’entre eux sont décédés dans un accident à un passage à niveaux. Je me dois de présenter mes condoléances aux familles des enfants et à celle du prof.
En 1996, je dirigeais, bénévolement, un centre de vacances avec 96 enfants. Tous les animateurs et accompagnateurs étaient bénévoles. Le père d’un des enfants que je connaissais depuis environ un an et qui était devenu un copain était venu, à la fin, pour nous aider au démontage des tentes.
Le dernier jour, alors que les gamins étaient déjà dans les cars pour partir, je sens le gros orage se pointer et je voulais que tout le matériel soit rangé avant (sinon, de retour en Bretagne, nous aurions du faire sécher les lourdes toiles de tente et les lits de camp ce qui nous aurait fait des heures et des heures de travail).
J’ai donc demandé aux quelques adultes qui restaient avec moi d’accélérer le rythme.
Christophe, mon copain, a été « victime d’un arrêt cardiaque ».
Vous avez beau vous répéter les paroles réconfortantes des copains, du type « Tu ne pouvais pas savoir qu’il était fragile du cœur », le sentiment de culpabilité dure des mois. Ca fera douze ans dans 9 jours (il y a des dates qu’on n’oublie pas) mais il m’arrive encore de penser parfois : « il est mort à cause de toi ».
Ca dure des mois et des mois. Je n’ai pas pu accompagner la famille comme j’aurai du, en tant que directeur du séjour, membre du Comité Régional de l’association, mais surtout en tant qu’ami, car j’avais peur que sa femme et ses enfants éprouvent les mêmes sentiments : « c’est de ta faute ». Je n’osais plus aller faire les courses de peur de les croiser.
J’ai appris bien après qu’au contraire, leurs sentiments étaient exactement l’inverse. Ils m’avaient remercié d’avoir accordé les derniers moments de bonheur à Christophe et d’avoir été près de lui pendant ses derniers instants. Je suis con.
Voila pourquoi je comprends ce prof. J’ai perdu un pote quadragénaire cardiaque, les douleurs s’estompent… Ce prof a perdu sept mômes. Je n’étais pas responsable. Il n’était pas responsable. Mais le cerveau humain est fait ainsi que certains sentiments sont insupportables.
Le pire est presque que l’absence de responsabilité est tellement évidente fait que les autres, vos proches, ne vous comprennent pas et sont incapables de vous sortir autre chose que les inepties d’usage. Les très proches, eux, comprennent car ils voient à votre tête que quelque chose ne tourne pas rond. Et ils savent qu’aucun mot ne pourra vous réconforter.
Ils attendent. Et comme vous les aimez bien, vous vous remettez ! Pour ma part, j’ai mis trois mois avant de relever la tête (tout coïncide… Je parlais ici de douze ans de fréquentation de la Comète : c'est au bout de trois mois que j'ai compris qu'il fallait que je sorte du cycle "métro - boulo - asso - dodo"). Mais les deux ou trois premières années ont été difficiles.
Je comprends ce prof.
Bon Dieu ! Je n’ai pas l’habitude de m’épancher ici, moi. Ca me donne soif.
N.B.1 : La photo n’a rien à voir avec le billet, je l’ai retrouvée en cherchant des liens pour mon billet de ce matin sur l’autre blog.
N.B.2 : Pour info, et pour que tout soit dit, le Camarade Gaël était mon adjoint cet été là.