Voici l’épisode 5 des femmes dans l’Ancien Testament et leurs représentations dans l’art ! Pour mieux comprendre ce qui suit, voici les liens des précédents articles :
Épisode 1 : Sara
Épisode 2 : Les filles de Loth
Épisode 3 : Rébecca
Épisode 4 : Rachel
L’histoire de Judith se déroule sous le règne de Nabuchodonosor qui, dans le récit, est roi des Assyriens alors qu’en réalité il était le roi des Chaldéens. Nous sommes dans la région du Proche-Orient, au VIe s av JC, et à ce moment là, c’est déjà le bordel dans cette contrée. Nabuchodonosor mène une sanglante répression contre les peuples qui ne l’ont pas soutenu lors de sa campagne contre le roi perse Arphaxad. À la tête de son armée, le général Holopherne est un véritable mâle alpha menant les combats dans une violence aveugle. Holopherne et son armée arrivent aux portes de la ville (fictive) de Béthulie qui refuse de se rendre. Au bout de presqu’un mois de siège, les réserves d’eau de la cité sont épuisées et les habitants commencent à avoir grand soif. Le conseil des Anciens se réunit et ils décident d’attendre cinq jours une intervention divine. Mais le laps de temps écoulé, Dieu n’a même pas montré son petit orteil ; la ville capitule.
Et c’est là qu’entre en scène Judith ! Présentée comme descendante de seize générations d’hommes élus de Dieu (remontant jusqu’au patriarche Jacob) Judith est une jeune et belle (tiens donc !) veuve, très pieuse (re-tiens donc !). Et pour ne rien gâter elle est très riche » Manassé, son mari, lui avait laissé de l’or, de l’argent, des serviteurs, des servantes, des troupeaux et des champs, et elle en restait maîtresse » (8 : 7-8). Oui car Judith est une femme qui n’est pas sous la tutelle d’un homme, puisque son statut de veuve la protège. Judith refuse la défaite et va trouver le conseil des vioques pour leur mettre un peu la honte. Elle leur reproche leur manque de coucougnettes par rapport à leur décision de capituler face à l’ennemi. Mais les Anciens ne vont pas se laisser donner des leçons par une femelle et se fichent un peu d’elle : » Eh bien, prie pour nous, car tu es une femme pieuse, et l’Éternel enverra la pluie pour remplir nos réservoirs, et nous ne serons plus épuisés. » (8 : 31). La jeune femme ne se démonte pas et leur réplique : » Écoutez-moi, et je ferai une chose qui parviendra jusqu’à des générations de nos descendants. » (8 : 32). Mais rien à faire, les Anciens ne l’écoutent déjà plus.
Judith rentre chez elle, prie très fort et, connectée au divin, elle échafaude un plan pour anéantir l’armée assyrienne. Parée de ses plus beaux atours « (…) afin de séduire les yeux des hommes qui la verraient. » (9 : 4) et accompagnée de sa servante Abra, Judith sort de Béthulie et pénètre dans le camps des Assyriens… Holopherne, à l’aide de son radar de mâle alpha ne tarde pas à la repérer et lui ordonne de décliner son identité. Judith commence le roulage dans la farine en lui expliquant qu’elle a déserté et qu’elle détient des informations qui pourraient lui permettre de pleinement s’emparer de la ville. Ce pignouf d’Holopherne, le slip frétillant, la croit sur paroles et demande à ce qu’un banquet soit organisé en l’honneur de la jeune femme. Trois jours plus tard, le soir venu, ça ripaille comme jaja, sauf Judith qui trempe à peine ses lèvres dans sa coupe de vin alors que le général se transforme petit à petit en cubi sur pattes. Judith en remet une couche en s’adressant à lui : » Dieu m’a envoyée pour accomplir avec toi des actions qui frapperont de stupeur la terre entière et tous ceux qui en entendront parler. » (11 :16). Holopherne est à balle, persuadé qu’elle lui est destinée et qu’elle va finir tout droit dans sa couche pour repeupler la terre. Son intendant met tous les convives dehors pour laisser le général et la jeune femme seuls.
Holopherne, bourré comme un coing, n’a même pas le temps de dégainer son p’tit oiseau qu’il s’effondre sur son lit. Alors, Judith se saisit du cimeterre du général, le brandit au-dessus de sa tête et l’abat sur la nuque de ce dernier. La tête, figée en une expression de stupeur se détache et roule sur le sol. La servante Abra la saisit et la cache dans un grand sac en toile. C’est cet épisode qui a été abondamment représenté dans l’histoire de l’art, et ce, depuis le Moyen âge. En effet, la figure d’une femme – par nature faible – qui tue un homme – général de surcroît – a fasciné pas mal d’artistes. D’ailleurs, le texte de l’Ancien Testament le mentionne trois fois, insistant bien sur cet acte qui bafoue l’ordre des choses. Judith apparait comme une virago, c’est-à-dire une femme qui imite les hommes, par sa force de caractère et d’action, et échappe ainsi au joug du patriarcat. Et ça, C’EST PAS BIEN ÇA FAIT PEUR. Et en plus, elle use de ses charmes féminins pour arriver à ses fins…
Judith la pieuse
Ainsi, cet épisode biblique a divisé les artistes. Certains ont mis un coup de projecteur sur le côté séducteur et manipulateur de Judith. D’autres ont au contraire valorisé la vocation divine de Judith et sa piété. On va commencer dans le « soft » avec ceux qui ont privilégié le côté pieux de Judith ; c’est le cas de Bernardo Cavallino (1616-1656), dans le tableau ci-dessous :
Alors, Judith, avec sa bouche ouverte et le regard dans le vague n’a pas l’air d’avoir la lumière à tous les étages, je vous l’accorde. Mais cette expression traduit en réalité une sorte de soulagement, mêlé d’extase mystique, sa mission divine accomplie. Sa main droite, relâchée sur la tête d’Holopherne, paraît la couver respectueusement, consciente de la portée de son geste et de la valeur de la vie d’un humain, créature de Dieu. Ses habits sont plutôt « simples » et le bleu de sa robe rappelle sans équivoque le bleu de la robe de la Vierge Marie, renforçant ainsi sa sainteté.
Sandro Botticelli (1445-1510) a lui aussi occulté le côté séducteur de Judith. Cette dernière présente un visage assez mélancolique (et propres aux figures féminines de Botticelli), dans une attitude corporelle empreinte de douceur et une nouvelle fois la robe est bleue (coucou Marie). En réalité, Judith exprime ici une grande humilité, malgré l’acte de la plus haute importance qu’elle vient d’accomplir. Son geste a été guidé par Dieu et elle n’en retire aucune gloire, ayant été seulement l’instrument de la volonté de ce dernier. Et la branche qu’elle tient dans sa main gauche est un rameau d’olivier qui symbolise la liberté retrouvée.
De même Valentin de Boulogne (1591-1632) ci-dessous, qui représente dans toute sa splendeur la mission divine de Judith. L’air déterminé, le doigt levé au ciel, elle montre que son acte est guidé par Dieu. Elle s’appuie sur l’épée qui, par sa forme et sa position verticale, rappelle la croix christique, légitimant ainsi l’assassinat du général.
La violence jubilatoire
Mais comme vous devez bien vous en douter, les peintres dans la grande majorité, s’en donnent à coeur joie sur le côté séducteur de Judith… Et souvent, la servante Abra sert de miroir intérieur de cette dernière. C’est le cas dans le tableau ci-dessous de Caravage :
Judith, peu impressionnée par la musculature d’Holopherne, le décapite avec détermination. Son physique entre parfaitement dans les canons de beauté de la Renaissance, les cheveux blonds vénitiens, la peu laiteuse, les bras et le visage ronds et la poitrine pointant sensuellement sous son corsage. L’exécution du tableau est magistrale, l’utilisation du clair-obscur (forts contrastes) propre au Caravage, renforçant l’aspect dramatique de la scène. Le sang s’échappant du cou d’Holopherne est peu réaliste mais peu importe, la violence de la scène s’exprime malgré tout pleinement. Et Abra, le visage contracté, rive des yeux remplis de haine sur Holopherne. Ainsi, le spectateur est invité à penser que malgré l’air concentré de Judith et son geste justifié, au fond d’elle, se déploie une violente colère. Rien de divin dans cette scène, mais une femme qui révèle dans son acte sa vraie nature (pas très catholique).
De même dans cet autre tableau de Valentin de Boulogne (qui retourne ici sa veste) où Abra est représentée telle une inquiétante sorcière :
Abra est souvent représentée telle une vieille femme et pour rappel, les femmes âgées sont suspectes puisqu’elles ne peuvent plus enfanter (la raison d’exister des femmes n’est-ce pas) et sont souvent associées à des sorcières. Dès lors, la vieillesse d’Abra et son rôle de miroir de l’âme de Judith, renforcent le fait que l’acte de cette dernière est perçu comme une action contre-nature. Holopherne a le visage déformé par l’effroi et la douleur tandis que sa meurtrière, le fixe, l’air impassible.
Femme ! Cesse de séduire à tout-va !
Quant à l’apparence physique de Judith, les peintres se font kiffer et la représentent telle une courtisane en puissance. Dans l’oeuvre de Giorgione (1478-1510) ci-dessous, Judith pose son pied sur la tête d’Holopherne, telle un Saint-Michel avec le dragon ou encore la Vierge Marie foulant à ses pieds le diable incarné en serpent. Pourtant, sa tenue a dû en émoustiller plus d’un : le rose connote un certain érotisme mais c’est surtout la fente de sa robe sur la cuisse gauche qui attire l’oeil. La jambe nue est révélée, soulignée par un voile transparent qui l’érotise davantage. La tête d’Holopherne sous le pied de Judith présente une expression béate (tu m’étonnes…).
Alessandro Allori (1535-1607) n’y est lui aussi pas allé de main morte : il a représenté Judith sous les traits… de sa maîtresse qui venait de le larguer ! Sûrement piqué dans son égo (et un peu tristounet) le peintre la représente telle une véritable femme fatale, dans tous les sens du terme :
Judith est vêtue de couleurs vives et chaudes qui évoquent la séduction dont elle usa et sa sensualité. La scène est vue en contre-plongée, accentuant la position dominante de Judith et son acte castrateur, tout comme l’effet qu’a produit la rupture du peintre avec sa maîtresse. Le regard de la jeune femme est froid et elle en a que faire du qu’en dira t-on, de même que du petit coeur Alessandro Allori !
Judith, miroir de fantasme masculins
Un des fantasmes masculins number 1 au XIXe siècle est la jeune femme orientale, lascive, dénudée, l’air farouche et/ou dominatrice. « L’Orient », région du monde fantasmée, est à la mode, notamment en raison des colonies européennes implantées en Afrique du Nord qui excitent l’imagination des occidentaux. Ce rapport primaire de domination influence la vision qu’ont les hommes occidentaux des femmes de ces régions là. Elles sont inaccessibles de par leur culture différente de la leur et de par leur éloignement géographique. Et l’image du harem ottoman en est un brûlant symbole : un lieu clos où, des femmes soumises à une autorité masculine, s’épanchent dans la plus grande des sensualités. D’ailleurs, les prostituées « phares » dans les bordels parisiens, sont souvent des femmes « exotiques ». L’histoire de Judith ayant pour décor le Proche-Orient, les artistes du XIXe s vont s’emparer du thème pour vendre du rêve à leurs acheteurs masculins et bourgeois. C’est le cas dans ce tableau de Jean Joseph Benjamin Constant (1845-1902) :
Judith est représentée la poitrine dénudée et fièrement dressée, ses longs cheveux tombant sur son torse évoquant une certaine animalité, appuyée par la présence de peaux de bêtes dans l’arrière-plan. Cela renforce l’idée que ces femmes « orientales » sont perçues par les occidentaux comme des êtres sensuels qu’ils doivent apprivoiser puis civiliser. Holopherne et Abra sont absents de la composition et zéro signe divin à l’horizon, seul le titre de l’oeuvre nous indique qui est cette femme. Le sujet de Judith est donc bel et bien un prétexte pour le peintre pour représenter dans toute sa splendeur le fantasme occidental de la femme orientale.
NB : ce ne fut pas le cas de tous les peintres, je parle ici de ceux qui se sont emparé du thème de Judith. Delacroix, par exemple, a la plupart du temps dans son oeuvre, offert une vision bien plus diverse et « vraie » du Moyen-Orient (même si quelques nanas nues y traînent aussi).
La fin du XIXe et le début du XXe s nous offrent également de nombreuses oeuvres où la figure de la femme – sans être forcément orientalisée – est diabolisée. Ainsi, l’épisode de Judith, tout comme celui de Salomé, est un sujet tout trouvé. Les artistes, dont les symbolistes en tête, représentent une femme plus proche d’une créature machiavélique et sensuelle que d’une humaine. C’est la femme fatale dans toute sa splendeur, qui après avoir dupé puis trahi l’homme Holopherne, se délecte du crime qu’elle a accompli ou qu’elle s’apprête à commettre. L’homme est ainsi conduit à sa perte par ce sexe féminin si redoutable et quelque part craint par lui. Ce que l’on peut observer ci-dessous avec le tableau de Franz von Stuck et celui de Gustave Klimt :
Se réaproprier le sujet en tant que femme
Et du côté des peintresses, Judith est souvent représentée telle une femme forte, pleinement consciente de son geste et non réduite à son acte de séduction ni à sa piété. C’est le cas avec l’exceptionnel tableau d’Artemisia Gentileschi (1593-1653) :
La particularité de cette oeuvre est qu’elle serait autobiographique. En effet, Artemisia a été violée à l’âge de 18 ans par son professeur de dessin et collègue de son père, Agostino Tassi. Elle aurait ainsi représenté ce dernier sous les traits d’Holopherne et Judith est son autoportrait. Le tableau sonne comme une vengeance après le terrible acte qu’elle a subi peu de temps auparavant. La scène est très réaliste, de l’écoulement du sang qui imprègne le lit, à la tension dans les bras d’Abra et Judith et l’expression d’agonie d’Holopherne. On peut également remarquer les traits semblables entre la servante et Judith qui sont d’ailleurs aussi actives l’une que l’autre dans l’anéantissement d’Holopherne. Cela pourrait suggérer une sorte de solidarité entre femmes face au masculin destructeur. Ou tout simplement une volonté de réalisme de la part d’Artemisia : Holopherne même soul et à moitié endormi, reste un colosse difficile à abattre. De même, peut-être que c’est bel et bien une métaphore du viol qu’elle a vécu mais il faut garder à l’esprit que cet épisode biblique était alors très à la mode et qu’Artemisia se devait d’engranger des sous-sous. Le thème de la décollation d’Holopherne par Judith revient d’ailleurs régulièrement dans son oeuvre où les deux femmes forment une véritable équipe :
Cliquer pour visualiser le diaporama.(Et j’ai écrit un article entièrement consacré à l’oeuvre et la vie d’Artemisia que vous pouvez lire ici !)
Cette ressemblance physique et cette solidarité entre Abra et Judith se retrouve également dans ce tableau de Lavinia Fontana (1552-1614) :
Après avoir fait couic-couic à Holopherne, les deux femmes quittent discrètement le camp et se réfugient dans leur ville, Béthulie où elles sont accueillies par une foule en délire. Dans le tableau ci-dessous, Auguste Leroux représente Judith dans la veine de la terrible femme fatale. La jeune femme, les yeux révulsés, la poitrine dénudée, brandit la tête d’Holopherne devant laquelle se pâme la foule. Le sac tenu par Abra et qui contenait la tête, constelle de sang les marches aux pieds de Judith (de même que la tête d’Holopherne qui pendouille au-dessus), véritable marqueur qui désigne la meurtrière.
Le lendemain matin, lorsque le corps sans tête d’Holopherne est découvert, c’est la panique chez les Assyriens. Judith de son côté, après avoir signé moult autographes, prodigue de précieux conseils aux militaires de la ville pour vaincre l’armée assyrienne. Les soldats de cette dernière, ne tardent pas à plier leur camps et à partir sans demander leur reste. Car rappelons-le, c’est une femme qui a décapité leur chef. Et ça, c’est la grosse honte !
Ainsi, Judith a sauvé Béthulie, et après avoir repoussé moult prétendants (ça échauffe les esprits une femme castratrice ET pieuse), elle vivra jusqu’à 105 ans, sa servante Abra à ses cotés.
Pour terminer, voici quelques tableaux sur le même thème qui sont assez WTF :
Ici, Judith évoque une bouchère qui découpe son gros Holopherne, déposant le morceau de choix sur son étal :
De même avec celui-ci où le cou du général évoque un bon petit rôti prêt à être réduit en tranches (je passe sur son expression de benêt) :
Et pour terminer, ce tableau de l’entourage d’Alexis Grimou où Judith en a plus rien à faire. Elle nous offre un air béat (un peu cruche), les nénés à l’air, sous une couche de fanfreluches et de plumes. La tête d’Holopherne pourrait aisément être remplacée par un toutou, ça ferait le même effet ! Même Abra dans l’arrière-plan n’est pas très convaincue par ce qu’il se passe.
La suite au prochain épisode, pour découvrir les autres figures féminines de l’Ancien Testament dans l’art !
Les épisodes précédents :
Épisode 1 : Sara
Épisode 2 : Les filles de Loth
Épisode 3 : Rébecca
Épisode 4 : Rachel
Si l’article t’a plu, n’hésite pas à t’abonner à la page Facebook pour être tenu au courant des prochaines publications : https://www.facebook.com/mieuxvautartquejamais/
Le blog a aussi un compte Instagram, où des anecdotes tirées des articles sont en stories et publications : instagram.com/mieuxvautartquejamais/
Sources :
- Baladier Charles (dir), Lapierre Jean-Pie (dir), La petite Encyclopédie des Religions, éditions du Regard, Paris, 2000
- Bebe Pauline, Isha, Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Calmann-Lévy, 2001
- Debray Régis, L’Ancien Testament à travers 100 chefs-d’oeuvres de la peinture, Presses de la Renaissance, Paris, 2003
- Maës Gaëtane, cours sur : L’introduction à la peinture et aux arts graphiques en Hollande et en Flandres au siècle d’or, Université de Lille 3, 2015
- Quérat Lisa, Les représentations italiennes du mythe de Judith en peinture et au théâtre de la Renaissance au Baroque, Cahiers d’études romanes, Revue du CAER, 2013, disponible : ici