Le Port, comme je l'appelle, c'était la rue du Port. Elle partait de la mer pour monter vers le haut de la ville, la ville d'en haut, comme on disait au port. A la maison, on disait simplement le pays
Joseph, le narrateur, vit avec ses deux parents dans une petite maison de la rue du Port. C'est-à-dire avec Maman, qui deviendra La Mère quand elle le comptera au nombre des hommes, et Le Père.
Cette famille est à elle seule un univers pour lui, comme une île au milieu d'un microcosme composé des commerçants et des pêcheurs de la partie portuaire de cette ville, où le temps semble s'être arrêté.
Un jour, à l'exception d'Eugène et de Jules, les pêcheurs se laissent tous convaincre qu'il faut préparer le futur, créer une vraie criée, acquérir de plus gros bateaux, et, pour ce faire, emprunter aux banques.
Jules, Le Père, raconte à La Mère ce qu'il a dit: Que ça, j'y connaissais rien et qu'ça m'intéressait pas de m'y intéresser. Or Joseph veut être pêcheur comme Le Père et, à dix-sept ans, le devient avec lui.
Les années passent. L'accident, dans lequel périssent Jules et Eugène, change la donne, d'autant que La Mère les suit dans la tombe. Les temps changent aussi, de même que la réglementation, plus contraignante...
Joseph, s'il n'est pas un entrepreneur, s'il n'est pas un pêcheur moderne - il est fidèle aux paroles du Père -, a des idées et l'une d'elles va séduire un fabricant à qui il s'est adressé pour la mettre en oeuvre.
Cette idée séduit celui-ci tant et si bien qu'ils travaillent ensemble et que, sa femme étant morte en couches et ses deux fils morts à la guerre, Joseph est destiné à lui succéder. Ce qui ne manque pas de se produire.
La disparition du patron pourrait changer sa vie, comme le pourraient les projets d'un prétendant à la mairie, un entrepreneur de travaux publics, pour qui le pays ne doit pas rester sur le bas-côté du progrès
Mais nul n'est obligé de suivre ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous, en se servant d'ailleurs copieusement au passage. Vivre, de surcroît libre et digne, c'est en effet tout autre chose:
Vivre, c'est être où l'on est, pleinement, être qui on est, sans tricherie.
Francis Richard
Le naufragé, François Colcanap, 176 pages, Slatkine & Cie