Partager la publication "[Critique] LE CAS RICHARD JEWELL"
Titre original : Richard Jewell
Note:Origine : États-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Kathy Bates, Jon Hamm, Olivia Wilde, Nina Arianda, Ian Gomez, Niko Nicotera, David Shae, Mike Pniewski…
Genre : Drame
Durée : 2h09
Date de sortie : 19 février 2020
Le Pitch :
27 juillet 1996 à Atlanta. Les Jeux Olympiques viennent de débuter. Alors qu’il surveille un concert se déroulant dans le parc du centenaire, l’agent de sécurité Richard Jewell repère un sac à dos abandonné et alerte rapidement les autorités, tout en commençant à évacuer la foule. Sac contenant une bombe qui en explosant, tue 2 personnes et en blesse plusieurs dizaines. Un bilan qui aurait pu être beaucoup plus lourd si Richard n’avait pas agit rapidement. Célébré en héros, il se retrouve néanmoins aussi dans le viseur du FBI, qui le considère comme le principal suspect. Des soupçons que la presse s’empresse de relayer, faisant de Richard la cible d’une détestation croissante. Totalement démuni, ce dernier décide néanmoins de se battre pour prouver son innocence, aidé par un ami avocat. Histoire vraie…
La Critique de Le Cas Richard Jewell :
Cint Eastwood, presque 90 printemps au compteur, continue d’enchaîner les films avec une régularité métronomique. Alors que 2019 le voyait, contre toute attente, revenir devant la caméra avec le magnifique La Mule, il signe aujourd’hui avec Le Cas Richard Jewell un grand film classique, dans le sens le plus noble du terme. Un long-métrage adapté de l’histoire vraie de Richard Jewell, cet homme ayant sauvé des dizaines de vies durant l’attentat d’Atlanta pendant les J.O., en 1996, qui du jour au lendemain, est passé du statut de héros à celui d’ennemi public numéro 1. L’occasion pour le cinéaste de continuer à disséquer la figure bien américaine du héros providentiel…
Héros malgré lui
Clint Eastwood a souvent interrogé la notion d’héroïsme dans son cinéma. Que ce soit avec le mystérieux pasteur de Pale Rider, le cow-boy fatigué d’Impitoyable, le soldat traumatisé d’American Sniper, le faux-sauveur de L’Homme des Hautes Plaines, le flic dur à cuire de L’Épreuve de Force ou encore le pilote de Sully, Clint s’est souvent focalisé sur cette thématique. Une suite logique pour celui qui, quand il ne faisait que l’acteur, incarnait justement fréquemment des figures héroïques pas comme les autres, à l’image de Harry Callahan, pour ne citer que lui. L’histoire de Richard Jewell lui permettant de continuer à questionner ce genre de figure adorée de l’Amérique. Surtout qu’ici, le héros en question a, comme dans Sully, mais de manière bien plus poussée, fait l’objet de terribles soupçons remettant non seulement en cause la valeur de son acte héroïque mais aussi sa condition profonde d’être humain. Le scénario du film racontant in fine, avant même de montrer du doigt les méthodes du FBI ou celles d’une certaine presse carnassière, comment, dans le monde d’aujourd’hui, le fait de sortir des clous ou de simplement ne pas correspondre à certains standards, peut très vite changer un type jusqu’alors invisible et parfois même conspué, en ennemi de la nation. La corpulence de Richard Jewell, son admiration des forces de l’ordre et son désir de protéger son prochain, son attachement à sa mère et sa façon d’être ayant dans son cas suffi à faire de lui le suspect idéal, quand bien même il fut le premier à se dresser contre la menace pour limiter les dégâts…
Exécution publique
Dans une scène clé, où il tente d’expliquer son comportement à son avocat, alors que dehors, la populace réclame sa tête, Jewell exprime sa détresse et sa colère face à une société qui n’a jamais vu de lui que ses kilos en trop et son attitude parfois un peu en décalage. Conscient qu’il n’est jamais rentré dans l’un des moules jugés acceptables par la majorité, il met en corrélation son statut, celui qu’il a toujours eu, et les accusations dont il fait l’objet. Une séquence déchirante car illustrant, bien au-delà du simple postulat du film, une réalité toujours d’actualité aujourd’hui. Eastwood s’attaquant là à la dictature de l’image. Dictature que le metteur en scène tient à relier aux méthodes de la presse et même à celles des enquêteurs du FBI qui à l’époque, ont sali le nom de Richard Jewell en place publique sans aucune preuve tangible de sa culpabilité. Une démarche brillante au centre d’un film vibrant et poignant, où le héros est sacrifié sur l’autel d’un conformisme malsain et de ce besoin tenace d’écarter celles et ceux qui osent s’imposer envers et contre leur condition, si cette dernière n’est pas jugée assez digne. Parce qu’au fond, jamais Eastwood ne renie son attachement à l’Amérique qu’il a souvent incarnée. Ici, ce sont les hommes qui en corrompent les valeurs, celles de la justice notamment, qui se retrouvent dans son viseur. Il en va d’ailleurs de même pour Jewell, dont l’admiration pour les institutions ne se trouve pas altérée par les accusations injustes dont il est la cible. Pour Clint, la menace ne vient donc pas de l’idée de départ, idéale et noble (la justice, aveugle, qui juge tout le monde à égalité et la société qui donne sa chance à chacun) mais de ceux qui en pervertissent les fondements. La scène dans laquelle Sam Rockwell dit à Paul Walter Hauser que « les hommes qui veulent sa tête ne sont pas le gouvernement mais trois cons qui bossent au gouvernement », va totalement dans ce sens. Puissant uppercut au sous-propos politique admirablement amené et incarné, Le Cas Richard Jewell transcende son sujet et saisit à la balle au bond pour aborder beaucoup d’autres thématiques, se montrant sans cesse pertinent et passionnant. Seul petit bémol : alors que le déroulement de l’intrigue ne souffre d’aucune faute de goût ou approximation, la fin elle, paraît un peu rapide et abrupte. Surtout qu’en l’occurrence, le film a pris quelques libertés avec la réalité, faisant par exemple de Jewell un homme célibataire vivant avec sa mère alors qu’il était déjà marié depuis 5 années au moment de l’attentat d’Atlanta. Des choix compréhensibles mais pas toujours très bien intégrés à l’ensemble. Surtout quand vient le moment de disculper le coupable présumé, même si les deux dernières scènes sont absolument déchirantes…
Une histoire de résilience
En pleine possession de ses moyens, Clint Eastwood ne rate donc pas le coche comme il a pu le faire avec Le 15h17 pour Paris et évite les excès, tout en avançant, bille en tête, sans avoir peur d’égratigner ceux qui doivent l’être. D’un classicisme noble, sa réalisation fait ici à nouveau des merveilles. En prenant son temps mais en ne faisant jamais de surplace, proche de ses personnages et maîtrisant totalement les inflexions de son récit, Eastwood sait aussi parfaitement jouer avec ses acteurs, qu’il sublime. Tout spécialement Paul Walter Hauser, scandaleusement ignoré par les Oscars et les Golden Globes (comme le film d’ailleurs), qui s’avère incroyable. Révélé par la série Kingdom, le comédien fait preuve d’une justesse touchante et d’une mesure exemplaire face à un Sam Rockwell à nouveau épatant. Un vrai duo de cinéma, garant d’une émotion constante, épaulé par la superbe Kathy Bates, face à une Olivia Wilde elle aussi parfaite et à un Jon Hamm qui ici, trouve enfin un rôle au cinéma à la hauteur de son talent. En leur laissant la possibilité d’incarner l’histoire, sans les étouffer par des effets de style hors sujets et tape à l’œil, Clint Eastwood continue de faire de la résistance au centre d’une industrie qui de plus en plus, cède à la facilité. Car Le Cas Richard Jewell n’a rien de facile, bien au contraire. Magnifiquement complexe, il touche en plein cœur à plusieurs reprises, s’autorise des pointes d’humour, évite les clichés les plus encombrants inhérents au genre auquel il se rattache et met en avant un double discours qui, dans le monde d’aujourd’hui, résonne avec une force admirable.
En Bref…
À peine marqué par une résolution un peu abrupte, Le Cas Richard Jewell s’impose comme un vrai tour de force. Porté par des acteurs parfaits, avec au centre, l’impressionnant et touchant Paul Walter Hauser, ce film traduit la vitalité et la pertinence d’un Clint Eastwood concerné. Un grand film.
@ Gilles Rolland