Il ne fait décidément pas bon être agriculteur en France actuellement. Certes, le métier a toujours été difficile et certes, l’exode rural n’a rien arrangé. Mais ces dernières années, tout semble concourir à en faire un véritable sacerdoce.
Au delà de l’actuel « agribashing » largement favorisé par l’hystérie d’un écologisme mal digéré, il y a, bien sûr, l’administration qui n’en finit pas d’ajouter des insultes aux injures par le truchement de ses petits cerfas mal conçus, de ses pléthores de normes de plus en plus complexes, de ses pointilleux contrôles sanitaires et de sa tendance à toujours considérer l’administré comme un filou qu’il convient de mater. Et si, bien sûr, toutes les professions doivent subir le joug de l’Occupant Intérieur lorsqu’il vient vérifier que les i sont bien pointés et les t sont bien barrés, qu’il vient distribuer des amendes et collecter les taxes, cotisations et impôts divers, les agriculteurs doivent de surcroît composer avec le décalage de plus en plus frappant entre les attentes de l’Occupant, ce qu’il réclame comme taxes et impôts, et le service rendu en échange.
Rien n’illustre mieux ce décalage qu’une récente affaire s’étant déroulée dans la Marne, à Ambrières. C’est dans cette commune qu’exerce Jean-Louis Leroux en tant qu’éleveur bovin, et c’est aussi là qu’il a été arrêté et mis en détention provisoire après avoir blessé grièvement à coup de fusil un jeune de 19 ans qui était en train de lui voler du carburant, en pleine nuit.
Si l’on peut assez facilement expliquer que notre éleveur se retrouve en cellule après avoir ainsi fait usage d’une arme à feu sur un simple voleur, on devra nettement mâtiner cette explication d’une mise en contexte qui laisse pantois.
En effet, l’agriculteur ne subissait pas là son premier vol, ce qui aurait immédiatement classé sa réaction comme particulièrement inappropriée. En réalité, il s’agissait plutôt du quarantième (voire cinquantième) d’une série s’étalant jusqu’en 2015, soit une moyenne d’un vol tous les mois et demi depuis cinq ans. Plus à propos que cette statistique déjà fort inquiétante, on apprend que notre agriculteur avait auparavant porté plainte à une trentaine de reprises.
L’affaire exposée, on ne pourra s’empêcher de noter le délicieux décalage entre la mise en détention provisoire de notre agriculteur à la suite de son coup de fusil (dans les heures qui suivirent, donc) et l’absence compacte de toute mesure suite aux 30 plaintes et 40 à 50 vols précédents.
Au moins, la justice française montre ici son efficacité à s’occuper des gens honnêtes, ceux qui ne fuient pas leurs responsabilités et qui s’attendent à recevoir un service en échange de leur comportement civique normal. En revanche, lorsqu’il s’agit d’aller attraper les voleurs de carburant multirécidivistes, ceux qui ne se laisseront pas amener sans s’agiter, on s’étonnera de l’impact particulièrement faible de la justice française, notamment dans les campagnes où tout semble plus difficile, plus complexe, plus inatteignable.
N’écartons pas non plus l’importance de ceux qui portent plainte : un éleveur lambda peut bien déposer trente plaintes, cela ne signifie pas qu’on s’occupera de son cas. En revanche, s’il s’agit d’un ancien président de la République, une plainte est amplement suffisante non seulement pour diligenter une enquête, mais aussi pour retrouver le coupable et, lorsqu’il s’avère être en situation irrégulière sur le territoire, pour l’en expulser bien vite : un cambriolage chez François Hollande mobilise manifestement plus de moyens de notre administration que cinquante chez Jean-Louis Leroux.
Devra-t-on évoquer la rapidité avec laquelle ont été diligentés les enquêtes et prises les dispositions pour coffrer un « réfugié politique russe » et « sa compagne » suite à ce qui est, depuis quelques jours, devenu le GriveauGate ? Et dans la foulée, devra-t-on revenir sur les propos du député Bruno Questel qui, à la suite de cette affaire, réclame maintenant à cors et à cris que soit à son tour expulsé ce vilain russe séditieux ?
Peut-être devra-t-on, oui.
Notamment pour rappeler à ce même député que des douzaines de « réfugiés » ont fait largement pire sur notre territoire sans jamais avoir été expulsés.
Notamment pour rappeler qu’avant de s’occuper avec autant de moyens des pathétiques affaires de quéquette d’un Benjamin Griveaux qui n’avait, jusque là, jamais brillé par son intelligence ou sa valeur ajoutée au pays, il serait amplement nécessaire de s’occuper plutôt de toutes les autres affaires où vols, viols, voies de faits, atteintes aux biens et aux personnes graves ont été perpétrées et qui provoquent bien plus de dégâts que les consternantes révélations sur ce candidat LREM dont l’avenir vers le néant sans intérêt semblait déjà tracé de toutes façons.
Notamment pour rappeler que la justice de ce pays devrait être, dans son traitement, aussi égalitaire que possible et qu’on en est loin, très loin. Que cette justice est pourtant du domaine du régalien, c’est-à-dire le cœur même des fonctions de base d’un État fonctionnel. Qu’avec cette justice, un État fonctionnel doit aussi assurer la protection et la sécurité des citoyens… Et qu’en cette matière, eh bien c’est un échec lamentable, surtout ces derniers mois.
Mais le comble de cette affaire réside dans la cause principale de ces vols dont sont victimes ces agriculteurs : non seulement ces vols de carburant sont permis par le laxisme de plus en plus évident (et dramatique) que s’autorise l’État en terme de sécurité dans les campagnes – dernier des soucis des élites en responsabilité actuellement, mais aussi parce que l’accroissement des taxes de tous ordres rend ce carburant artificiellement cher, donc désirable… Taxes dont une des raisons d’être est de permettre la perpétuation du train de vie de l’Occupant intérieur, cette élite et son administration déconnectée des réalités de terrain, alors que cette insécurité dont il n’a que faire (car il n’est pas directement concerné) coûte, chaque année, 5% de PIB de façon indirecte pour la défiance qu’elle entraîne, et 115 milliards d’euros par an pour les coûts directs de la criminalité et de la délinquance (5,6% du PIB supplémentaire).
Eh oui : avec plus de 10% du PIB rognés, on comprend que l’Occupant Intérieur doive sévèrement augmenter les ponctions pour tenir son standing !
Devant ce constat et comme l’analyse Alain Baueur, professeur de Criminologie, on ne devra pas s’étonner de la montée de ces faits divers et de la tentation, de plus en plus grande, pour les citoyens de faire justice eux-mêmes.
Pas dit que l’Occupant Intérieur y échappe.
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