, jour de son accident, écrit Il s'agit de l'oeuvre à laquelle travaillait Albert Camus au moment de sa mort. Le manuscrit a été trouvé dans sa sacoche, le 4 janvier 1960 Catherine Camus, dans la note qui précède la première édition de ce roman inachevé et paru bien des années plus tard, en 1994.
Le roman, tel qu'il a alors été publié, comprend une ponctuation qui n'existait pas dans le manuscrit d' Albert Camus, écrit d'un seul jet. L'éditeur l'a rétablie, de même qu'il a indiqué les mots à la lecture douteuse, mis entre crochets des blancs pour remplacer ceux qui s'avéraient illisibles.
Albert Camus n'avait non seulement pas achevé son texte mais ne l'avait pas non plus retravaillé. Il avait mis en superposition des variantes, en marge des ajouts, intercalé des feuillets, qui sont reproduits en annexes, consigné des notes dans des cahiers à spirale, qui figurent en fin d'ouvrage.
Tout cela pour dire que tel quel, en dépit du fait qu'il ne soit pas une oeuvre aboutie de l'auteur, ce roman n'en est pas moins une oeuvre romanesque majeure du Prix Nobel de littérature 1957, sans doute parce que justement elle le révèle tel qu'en lui-même, sans qu'elle ait subi les derniers apprêts.
Dans l'édition de 1994, ce roman, qui figure entre autres dans le quatrième volume de l'édition de La Pléiade paru en 2008, comprend deux parties: Recherche du père et Le fils ou le premier homme, dans lesquelles il est surtout question de l'enfance d'un héros qui lui ressemble tant.
Jacques Cormery a quarante ans quand il se rend à Saint-Brieuc sur la tombe de son père, mort pour la France le 11 octobre 1914. Il ne l'a pas connu, puisqu'il est né une nuit d'automne 1913 en Algérie, à vingt kilomètres de Bône, où son père vient d'être nommé gérant d'une ferme de Saint-Apôtre.
Jacques constate en regardant les dates, 1885-1914, que son père Henri avait vingt-neuf ans quand il est mort et qu'aujourd'hui l'homme enterré sous cette dalle, et qui aurait été son père, était plus jeune que lui... En dépit de toutes ses recherches il ne saura pratiquement rien de plus sur lui...
Il sera donc le premier homme parce qu'avant lui il n'aura personne pour lui montrer la voie, sinon un père de substitution en la personne de l'instituteur Monsieur Bernard, qui, plus tard, va le sortir de la misère dans laquelle se trouvent sa mère (demi-sourde) et sa grand-mère illettrées.
Mais, auparavant, il va éprouver ce que signifie dire d'où il vient quand il doit indiquer la profession de sa mère sur l'imprimé à remplir au lycée où, bénéficiaire d'une bourse, il va poursuivre des études. Après avoir d'abord mis - elle fait des ménages - il se résout à écrire domestique :
Jacques se mit à écrire le mot, s'arrêta et [...] connut d'un seul coup la honte et la honte d'avoir eu honte.Ce roman est un roman d'amour, pour sa mère et pour tous ceux qui ne peuvent s'exprimer, pour cette terre d'oubli qui l'a vu naître et pour tous ceux qui y auront été, comme lui, des premiers hommes tels que les quarante-huitards, les Espagnols ou les Alsaciens, après la défaite de 1871.
Un Français d'Algérie dit à propos des Arabes: On est fait pour s'entendre. Aussi bêtes et brutes que nous, mais le même sang d'homme. On va encore un peu se tuer, se couper les couilles et se torturer un brin. Et puis on recommencera à vivre entre hommes. C'est le pays qui veut ça...
Dans une note, Albert Camus écrit: L'amour véritable n'est pas un choix ni une liberté. Le coeur, le coeur surtout n'est pas libre. Il est l'inévitable et la reconnaissance de l'inévitable. Et lui, vraiment, n'avait jamais aimé que l'inévitable. Maintenant il ne lui restait plus qu'à aimer sa propre mort.
Francis Richard
Le premier homme, Albert Camus, 386 pages, Folio