En sortie le 19 février sur les écrans français, le deuxième long métrage d’Ala Eddine Slim (qui était présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes) se situe dans la continuité de son premier, The Last of us : fascinant et dérangeant.
Voilà un film radical. Non la radicalité des extrémismes mais celle de l’inventivité et de la liberté. Mais aussi la radicalité de la rupture. Tlamess propose un autre territoire de cinéma et donc un autre territoire tout court, celui d’une créativité débarrassée des normes du récit. Tlamess veut dire « jeter un sort », d’où sa traduction par « sortilège ». Il se définit donc comme un acte, celui de proposer d’autres images que celles que nous avons l’habitude de recevoir.
C’est donc un film dérangeant. De fait, la quasi-absence de dialogues, la longueur de certains plans, l’apparition de figures énigmatiques, l’incertitude permanente dans laquelle est plongé le spectateur ne contribuent pas au confort. Pourtant, riche d’une impressionnante esthétique, le film exerce une fascination mobilisatrice, qui déclenche une furieuse envie de comprendre ce qui pourtant ne se donne que comme une possibilité d’appropriation et non un discours établi. Ecrire sur Tlamess revient donc radicalement à ne pas en dénouer les fils mais à ouvrir des plages de sensibilité. Face à un film qui brouille volontairement les pistes, ce n’est pas un éclairage que peut proposer le critique mais une relation parfaitement subjective avec un objet non identifié.
Et pourtant, la plume démange, tant Tlamess déclenche des émotions, permet des liens avec ses propres inquiétudes face à un monde en agonie, et ouvre à l’imagination qui reste la condition de l’émancipation et de la pensée.
S. (incarné par Abdullah Miniawy, musicien égyptien) se dépouille peu à peu de ce qui faisait son identité, jusqu’à la nudité, jusqu’à l’absolue marginalité, jusqu’à être un autre à tous points de vue. La musique lancinante et dissonante du quatuor Oiseaux-Tempête enveloppe son errance et sa mutation (un avant-goût peut être écouté sur Soundcloud). C’est donc un autre homme que découvre F., elle-même en quête de sérénité (Souhir Ben Amara, actrice de télévision connue en Tunisie). Ils ne communiqueront que par les yeux, filmés en très gros plans comme dans Orange mécanique. La référence à Kubrick est multiple, au point de retrouver dans la forêt, à la fois porte et clef, le monolithe noir de 2001, l’Odyssée de l’espace. Ces éléments s’ajoutent à d’autres pour épaissir le mystère, comme ce mythique serpent géant qui touchera le ventre de F. comme pour la protéger, comme S., du monde qui menace son enfant.
Ce nouveau territoire n’est pas un programme. La pomme et le serpent n’ont pas de valeur prophétique, pas plus que le monolithe ou tout ce qui compose ce déferlement imaginaire. Malgré ses allures de prophète dans un conte ésotérique, S. n’est pas plus un héros que ne l’était N. Tlamess serait plutôt un joint partagé quand il faut tout repenser, quand le monde est à recommencer. Une radicale expérience de cinéma en liberté.
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