Les œuvres qui ont été sélectionnées sont issues d’une collection extraordinaire d’art contemporain appartenant à un ancien hommes d’affaires, joueur de rugby et pilote d’avion et musicien de fanfare, qui témoigne d’une passion viscérale pour l’art singulier situé à la marge de la création contemporaine depuis plus de quarante ans, sans se préoccuper de la mode pour privilégier plus que tout la condition humaine qu’il place au coeur du dialogue qu’il entretient avec les artistes.
Il a longtemps conservé sa collection dans les sous-sols de sa maison jusqu’à ce qu’il trouve le cadre idéal pour les montrer au public dans l’abbaye d’Auberive en Haute-Marne depuis 2012.
Cet homme, c’est Jean-Claude Volot et il habite toujours à Châtenay-Malabry. Il a tenu, en lien avec les services culturels de la ville, à faire profiter les habitants d’une partie de sa collection, dans un endroit ouvert librement au public, du mardi au samedi.
Il parait que c’est une toute petite de sa collection. Qu’il faudrait 33 années pour l’exposer dans sa totalité. En tout cas les artistes retenus sont particulièrement intéressants. Je vous incite vraiment à aller voir ces œuvres dont le choix peut être qualifié de pointu, de déroutant, voire même de singulier, puisqu’il s’agit majoritairement d’artistes appartenant au mouvement de l’Art brut. Rassurez-vous, elles sont tout à fait accessibles sans qu’il soit nécessaire d’avoir des connaissances artistiques particulières, même si une visite en présence du collectionneur reste néanmoins inoubliable. En effet il nous prépare à être surpris, voire même peut-être à éprouver une certaine frayeur : Je n’aime pas la jolie peinture. J’aime la vraie.
J’ai eu la chance de suivre une visite commentée et c’est un moment inoubliable. Non seulement il connait bien les oeuvres, c’est un minimum, mais tout autant les artistes et il parle sans filtre de la cuisine du marché de l’art tout en soulignant que l’art n’est pas le marché. Ce qu’il dit de l’intérêt de la spéculation est passionnant, par exemple lorsqu’il explique que cela permet à François Pinault (dont la fondation est propriétaire du Palazzo Grassi et de la Pointe de la Douane) d’ambitionner de sauver la ville de Venise en générant 23 millions d’euros de bénéfices annuels.
Même s’il affirme ne pas être intéressé par les artistes reconnus et préférer rechercher des pépites ignorées de beaucoup il n’empêche que sa collection, au fil du temps recèle des trésors, comme l'oeuvre d'Hervé Di Rosa retenue pour l'affiche et qui est la première de cet article.
La première salle du rez-de-chaussée du Pavillon des arts propose trois oeuvres d’une artiste anarchiste qui s’appelle Badia, pour qui le collectionneur a une grande affection et qu’il voit souvent. Au cours de cette visite il nous l’a présentée comme étant la dernière représentante du mouvement artistique et politique CoBrA. Elle est influencée par des artistes comme la mexicaine Frida Kahlo tout autant que par d’autres qui furent qualifiés de "dégénérés" par les nazis comme Paul Klee ou Egon Schiele.
Le troisième, intitulé, La mort vit en liberté, m’a fait penser à Pablo Picasso. Cette artiste anarchiste ne dissocie pas la vie de la mort, un peu à l’instar du peuple mexicain pour qui les deux sont indissociables, ce qui réjouit Jean-Claude Volot.
Il partage avec nous son admiration pour un peintre–sculpteur pur autodidacte, né en 1952, ancien ouvrier boulanger parti à 24 ans en abandonnant sa paye derrière lui tant le désir de création était fort. Les notions de beau ou de laid n'ont nulle valeur chez Philippe Aïni, car il montre la beauté dans la laideur et vice versa. Il faut tourner autour de ses sculptures "bi-faces" pour en avoir la démonstration. Elles sont réalisées dans un morceau de pommier de Normandie ou dans du bois précieux récupéré chez un menuisier dont toujours l’artiste respecte le fil pour en quelque sorte interpréter ce que la nature suggère.
On reconnait immédiatement la patte d’Hervé Di Rosa dans la grande salle. C’est sans doute l’artiste le plus connu du grand public. Son père était un immigré italien communiste travaillant sur le port de Sète. Hervé intègra les Arts Décoratifs, à Paris, pour étudier le cinéma d’animation, partaga ensuite un atelier avec Robert Combas et s’intéressa comme lui à l’univers de la Bande Dessinée, qui inspirera sa peinture, sans doute après avoir été convaincu par Georges Wolinski. Il se rend à New-York d’où il revient subjugué par le travail des grapheurs qui, la nuit, bombent les rames du métro. Il se liera avec des artistes qui, à l’époque, repoussent toutes les limites. Beaucoup hélas sont morts aujourd’hui, emportés par une overdose ou par le SIDA. Le Salon de Montrouge il y a quelques années le fit connaitre plus largement.
Hervé Di Rosa est fasciné par les voyages. Ce goût de l’ailleurs, je le cultive depuis toujours. Enfant, je rêvais déjà de destinées lointaines en regardant les paquebots américains accoster dans le petit port de Sète, où j’ai grandi. Rien d’étonnant à ce qu’il raconte sa vision de Pearl Harbour dans ce tableau intitulé Un après-midi dans le Pacifique et qui, pour Jean-Claude Volot raconte toute l’humanité.
On comprend au fil de cette visite commentée combien les relations entre les artistes et les collectionneurs conditionnent les choix artistiques. Je l’avais déjà remarqué au contact d’autres collectionneurs comme Madame et Monsieur Billarant que j'avais rencontré dans leur Silo de Marines.
Le premier étage est consacré à trois autres artistes, le sculpteur Jephan De Villiers (né en 1940), le plasticien–collagiste Philippe Dereux (1918–2001) et le peintre Joël Lorand (né en 1952). Cet espace m'évoque immédiatement l'exposition Traces du végétal qui vient de s'achever à la Maison des arts d'Antony.
Jean-Claude Volot nous rappelle que Jean Dubuffet fut marchand de vins jusqu’à l’âge de 40 ans et que si l’on associe son nom à l’art brut il faut savoir qu’il ne serait pas devenu un immense artiste s’il n’y avait pas eu avant lui des précurseurs comme Gaston Chaissac savetier bourguignon contraint de s’installer en Vendée pour y suivre sa femme enseignante et qui deviendra sculpteur presque par hasard.
On reconnait à Jean Dubuffet d’avoir codifié l’art brut mais on peut regretter que les institutions françaises ne l’aient pas suivi. Quand il a voulu offrir sa collection de 40 000 pièces aucune n’a été intéressée. Voilà pourquoi elle a été installée en 1976 à Lausanne dans une Fondation qui compte aujourd’hui plus de 800 000 pièces et qui est considérée comme La Mecque de l’art brut.
Il faut signaler qu’il n’y aurait que deux musées français qui soient véritablement consacrés à l‘art brut : Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut (LaM), anciennement musée d'Art moderne de Villeneuve-d’Ascq et le MANAS, le Musée d'Art Naïf et d'Arts Singuliers de Laval. Quelques autres renferment des oeuvres magnifiques sans être spécialisés comme le MASC des Sables d’Olonne qui possède beaucoup d’oeuvres de Gaston Chaissac (voir ma visite dans ce musée ici).
Il faut imaginer la rencontre à Vence en 1955 entre Dubuffet et Philippe Dereux. Cet instituteur discret, en blouse grise, originaire de Villeurbanne, initia Dubuffet au travail de matériaux naturels comme des pommes de terre cuites à l'eau, oubliées sur le feu et retrouvées légèrement brûlées. On pourrait qualifier l’artiste d’écologiste puisque sa première intention fut de résister au gaspillage. Il inventa un système de conservation de toutes sortes d’épluchures qu’il faisait sécher sur ses radiateurs pour les intégrer dans des oeuvres où elles sont toujours intactes, soixante-dix ans plus tard. L’artiste n’a jamais révélé son secret mais son travail a été source d’inspiration pour beaucoup d’autres. Il publia en 1966 un Petit traité des épluchures, puis en 1981 20 ans d’épluchures.
Cet artiste catholique a aussi fait à partir des années 80 de magnifiques ostensoirs avec des peaux d’orange et des graines en jouant avec leur taille, leur couleur, leur forme. Sur le mur d'en face un pavage de courgettes, abstrait, évoque les peintures aborigènes d’Australie.
Joël Lorand arrête brutalement son métier de pâtissier peu avant la naissance de son fils, pour se mettre à la peinture. Il utilise fusain, gouache, huile, crayons de couleur et jusqu’à ses anciens outils de pâtissier ! Il dit se laisser guider par sa voix intérieure et faire confiance à son subconscient. Il en résulte un tableau aussi fouillé que son Personnage floricole parfois malicieux où l’on sent une influence animiste et qui rappelle l’univers de Jérome Bosch pour peu qu'on le regarde en gros plan.
Il est convaincu que Dieu est dans la nature, s’affirme animiste et représente les divinités. Son travail évoque les " Boli" (mot signifiant relique en bambara) que l’on voit surtout au Mali (ci-dessous : Après minuit, l'animal aux écritures blanches et la forêt tranquille).
Singulier avez-vous dit ?Pavillon des Arts et du Patrimoine, 98 rue Jean-Longuet 92290 Chatenay-MalabryDu 4 février au 7 marsLe mardi de 10 h à 12h30 et de 16 h à 18 h, le mercredi de 10 h à 12h30 et de 14 h à 18 h,
le jeudi de 10 h à 18 h, le vendredi de 14 h à 18 h, le samedi de 10 h à 12h30 et de 14 h à 18 h.Tél. : 01 47 02 75 22