Magazine Humeur

Représentations, manières de voir, héritages culturels.

Publié le 17 février 2020 par Ep2c @jeanclp

Nous venons au monde. Le monde nous précède. Nous sommes tous prématurés. Nous n’aurions pu survivre sans les soins d’autrui. Nous ne savions pas parler mais la diversité des sons, cris ou chuchotement que nous étions capables de produire alors était d’une richesse incomparable au regard du registre sonore de notre langue maternelle. Cet appauvrissement nécessaire est la clé d’accès au sens et à la communication . Vu de l’intérieur d’une civilisation donnée, les êtres qui ne parlent pas cette langue sont des barbares

Il n’y a pas une langue des langues. Le Premier Testament conte l’orgueil prométhéen d’hommes qui ont cru pouvoir construire une tour qui conduirait au ciel. L’effondrement de Babel inaugure pour toujours l’indépassable pluralité des langues.

De même, il ne saurait exister une culture des cultures. Le monde dont nous héritons est localisé, circonscrit, particulier. Certes on peut penser, croire, imaginer, espérer… et vouloir et agir pour s’élever au-delà, vers l’horizon d’une universalité. « Se cultiver » pour le dire autrement.

Mais il n’en reste pas moins que nos représentations spontanées, nos schèmes de pensée les plus tenaces, les manières de voir qui s’imposent lorsque notre vigilance se relâche, nous reconduisent à l’enfance du savoir, à des commencements infantiles que, nécessairement, nous avons oublié.

Parmi les catégories de pensée les plus archaïques, la distinction entre masculin et féminin que désigne justement chez nous l’expression de « langue maternelle ».

Représentations, manières de voir, héritages culturels.

C’est à dessein, que j’ai illustré ma précédente note avec un tableau de Fragonard que l’on nomme en général Le Verrou

Les représentations artistiques ont une histoire. Qui ne se limite pas à l’histoire de l’art mais aussi à celle des réceptions, des interprétations et des échanges.

S’agissant de cette œuvre (et de son contexte), la diversité des lectures et des interprétations est assez riche.

Ainsi, derrière l’apparence très explicite du célèbre Verrou, il est en réalité difficile de donner une interprétation univoque des intentions du peintre.

(…)

Le Verrou est un tableau narratif : Fragonard place le spectateur dans une position de témoin d’une scène dont l’issue fait peu de doute.
Vêtu de ses seuls sous-vêtements, un personnage masculin ferme le verrou d’une chambre à coucher, tandis qu’une jeune femme tente de l’en empêcher. Dans un mouvement du corps contradictoire, celle-ci jette sa main devant elle pour retenir le loquet, tout en se courbant vers l’arrière afin d’éviter les lèvres de l’homme. Son effort est vain : le verrou a déjà scellé la porte ainsi que son sort immédiat.
(…)

La signification du Verrou, et notamment la question du consentement de la femme, a suscité une abondante littérature. La divergence des avis montre à quel point Fragonard a su concevoir une œuvre ambiguë. Dans des dessins préparatoires antérieurs de plusieurs années, sa figure féminine montrait un visage plus coquin, ce qui incitait à voir dans son attitude cette résistance feinte tant appréciée des libertins. Mais dans le tableau final, le mouvement du corps décrit plus haut donne un sentiment tout autre. Ajouté à la chaise renversée, témoin d’une lutte récente, Le Verrou pourrait véritablement être ce qu’il semble être : une scène de viol. En outre, la cruche intacte, la rose posée sur le lit et le bouquet jeté au sol symbolisent la virginité et la défloration, ce qui donne à l’événement à venir un caractère irréversible.

© Benjamin BILLIETfévrier 2016

Site L’Histoire par l’image
 

Ou encore :

Commandée par le marquis de Véri, la scène de séduction que représente l’artiste sous ce titre métonymique est celle d’un instant de passion paroxystique. Dans une chambre à coucher encombrée de lourdes étoffes, un couple s’ébat. Lui se dresse, en tenue légère blanche, talons soulevés dans un geste de tension. De la main droite il tente d’atteindre le fameux verrou, cantonné dans l’angle droit du tableau. De l’autre, il enlace et soutient une femme au cou cassé par le transport amoureux. Alors qu’elle semble prête à défaillir, la robe défaite et la main dressée en un geste timide dans une grande arabesque, lui se tient droit comme un I, sûr de son désir. Et tandis qu’elle essaie de résister, il met en œuvre discrètement les conditions de la possession. Tout à gauche, une pomme posée sur la table de chevet nous rappelle qu’il s’agit bien de la représentation du péché, tandis que le bouquet jeté à terre évoque la défloration.

Fragonard peint donc ici, dans une mise en scène assez claire aux yeux du spectateur, l’instant précis qui précède l’acte amoureux − on peut même ici deviner que l’artiste a souhaité représenter de manière délicate une scène de viol. Déjà les draps sont défaits, déjà les vêtements ont été dénoués, la porte se ferme, elle cède, il agit.

(...)

Une certaine violence émane de l’œuvre. La femme est ici la victime sacrifiée, prise au piège entre une issue impossible, objectivée par le verrou (objet lui-même érotique) et la couche qui semble prête à se refermer sur elle pour la dévorer.

© Magali Lesauvage, 15 septembre 2015

Sur le site Beaux Arts.

Et encore :

Un couple dans une chambre. L'homme verrouille la porte en serrant la femme contre lui. A première vue, Le Verrou(1977) représente une scène galante : une femme qui résiste faiblement aux ardeurs amoureuses de son amant. Mais à y regarder de plus près, certains détails intriguent. Fragonard n'a rien laissé au hasard pour guider le regard du spectateur.

(…)

Érotique ou obscène pour certains, passionnelle pour d'autres, "Le Verrou" est œuvre typique du libertinage du XVIIIe siècle mais elle est aussi pleine d'ambiguïtés. La jeune femme semble se débattre ou peut-être s'enfuir d'où la théorie du viol.

S'agit-il d'un viol ? Là, je rejoindrai l'analyse des historiens de l'art qui ont regardé le tableau. Je ne pense pas que l'attitude et le visage de la femme soient ceux d'une femme qui est absolument effrayée. Par contre, il y a bien des signes d'une petite lutte. On ne peut pas répondre non, ce n'est pas un viol mais probablement pas"
Zeev Gourarier
Commissaire de l'exposition "Amour" au Louvre-Lens

(…)

Jean-Honoré Fragonard a peint « Le verrou », en écho à « L’Adoration des bergers » réalisée deux ans plus tôt. La scène biblique a bel et bien disparu pour être remplacée par l’image du péché par excellence avec de nombreux détails.
Il y a déjà le verrou tenu par l'homme, la lumière, le creux du lit, le lourd rideau rouge et la pomme, symbole du pêché originel. La scène d'amour a t-elle eu lieu avant ou après ? Cette question reste aussi sans réponse. Car Fragonard n'a jamais laissé d'explication sur son œuvre.


©Marion Gadéa, Nicolas Lemarignier 12 octobre 2018

Sur le site France Info

Il y a donc le verrou tenu par l’homme…

Voilà des années que je cherche, pour me rassurer sur mon compte mais ne trouve nulle part trace d’une perception altérée par un esprit aliéné qui verrait bien, en effet, comme tout le monde, l’homme se saisir du verrou mais… pour ouvrir la porte, et s’échapper.

Nattier, Jean-Bapiste ;“Joseph et la femme de Potiphar” Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage.

Livre de la Genèse, chapitre 39, 1-20.

On fit descendre Joseph en Égypte; et Potiphar, officier de Pharaon, chef des gardes, Égyptien, l'acheta des Ismaélites qui l'y avaient fait descendre. 

L'Eternel fut avec lui, et la prospérité l'accompagna; il habitait dans la maison de son maître, l’Egyptien. Son maître vit que l'Eternel était avec lui, et que l'Eternel faisait prospérer entre ses mains tout ce qu'il entreprenait.  Joseph trouva grâce aux yeux de son maître, qui l'employa à son service, l'établit sur sa maison, et lui confia tout ce qu'il possédait. Dès que Potiphar l'eut établi sur sa maison et sur tout ce qu'il possédait, l'Eternel bénit la maison de l’Egyptien, à cause de Joseph; et la bénédiction de l'Eternel fut sur tout ce qui lui appartenait, soit à la maison, soit aux champs. Il abandonna aux mains de Joseph tout ce qui lui appartenait, et il n'avait avec lui d'autre soin que celui de prendre sa nourriture.

Or, Joseph était beau de taille et beau de figure. Après ces choses, il arriva que la femme de son maître porta les yeux sur Joseph, et dit: Couche avec moi!  Il refusa, et dit à la femme de son maître: Voici, mon maître ne prend avec moi connaissance de rien dans la maison, et il a remis entre mes mains tout ce qui lui appartient. Il n'est pas plus grand que moi dans cette maison, et il ne m'a rien interdit, excepté toi, parce que tu es sa femme. Comment ferais-je un aussi grand mal et pécherais-je contre Dieu?Quoi qu'elle parlât tous les jours à Joseph, il refusa de coucher auprès d'elle, d'être avec elle.  

Un jour qu'il était entré dans la maison pour faire son ouvrage, et qu'il n'y avait là aucun des gens de la maison, elle le saisit par son vêtement, en disant: Couche avec moi! Il lui laissa son vêtement dans la main, et s'enfuit au dehors.
Lorsqu'elle vit qu'il lui avait laissé son vêtement dans la main, et qu'il s'était enfui dehors, elle appela les gens de sa maison, et leur dit: Voyez, il nous a amené un Hébreu pour se jouer de nous. Cet homme est venu vers moi pour coucher avec moi; mais j'ai crié à haute voix. Et quand il a entendu que j'élevais la voix et que je criais, il a laissé son vêtement à côté de moi et s'est enfui dehors. Et elle posa le vêtement de Joseph à côté d'elle, jusqu'à ce que son maître rentrât à la maison. Alors elle lui parla ainsi: L'esclave hébreu que tu nous as amené est venu vers moi pour se jouer de moi. Et comme j'ai élevé la voix et que j'ai crié, il a laissé son vêtement à côté de moi et s'est enfui dehors.

L’iconographie de la Bible est d’une richesse incommensurable, je laisse le soin au lecteur de chercher et trouver la représentation qui sied.

On trouve parmi elles une esquisse de Jean-Honoré Fragonard

Représentations, manières de voir, héritages culturels. Jean-Honoré Fragonard after Lionello Spada

Black chalk on paper drawing by Jean-Honoré Fragonard after Lionello Spada, Joseph and Potiphar’s Wife (from the Palazzo Ducale, Modena), 1760–61, 45.1 x 33.0 cm, The Norton Simon Foundation

(.../...)

Sans transition, ou presque, une ancienne note qui a quelque chose à voir avec la désormais controversée Cérémonie des César…

Masculin/Féminin

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