Bérénice aimait Titus… et le titre d’impératrice qui, pensait-elle, allait lui échoir. Titus aimait Bérénice mais Rome, peuple et sénat, senatus populusque romanus (SPQR), refusait qu’un empereur épouse une étrangère. Et Bérénice est étrangère, reine de Palestine, un pays d’Orient, au bord de la Méditerranée, Mare nostrum, dont la carte est représentée sur le tapis où se joue la tragédie. Elle aura beau dire, au dernier acte, que nul ne l’a vue « soupirer pour l’empire / La grandeur des Romains, la pourpre des Césars » ; son ambition est là, et se mélange à l’amour. Et tout lui échappe. Et tout échappe aux trois personnages principaux : Titus, Bérénice, Antiochus.
Des trois, seul Titus est romain. Antiochus est roi de Comagène, pays voisin de la Palestine.
Un romain et deux orientaux, donc. Cela ne se voit pas sur la scène. C’est sans doute que Robin Renucci ne se préoccupe que du vers de Racine, une tragédie française écrite pour être jouée à la cour du roi. Mais dès que cette idée s’est installée dans mon esprit, je ne pouvais plus voir ce spectacle sans qu’elle me pose des questions. Tous les acteurs et actrices sur ce tapis sont français et maitrisent la langue du XVIIe siècle. Les spectateurs et spectatrices ont même entendu quelques alexandrins au début de la représentation pour qu’on sache bien de quoi il retourne. Or le metteur en scène n’est pas allé jusqu’à confier le rôle d’Antiochus et celui de Bérénice à des « orientaux », qui sont encore réservés pour les rôles de serviteur et servante.
J’en étais là de mes pensées quand, soudain, une autre histoire s’est superposée à celle de Titus et Bérénice : Harry et Meghan en Angleterre ont renoncé à leur titre d’altesses royales. La presse, certains politiques britanniques et ceux que Racine aurait désigné en son temps comme « le peuple », autant de voix qui ont maltraité cette étrangère. On prétend que Titus n’avait pas d’autre choix que d’abandonner Bérénice. Mais que dire alors de la décision prise par Harry et Meghan sinon qu’un autre choix était possible, à condition de ne pas préférer le pouvoir à l’amour. Et que le monde change, comme l'affiche une publicité.
J'ai vu ce spectacle dans le cadre de la programmation du Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (94)