Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais la musique occupe quelque place dans ma vie. A l'intérieur de cette place trônent en majesté une cinquantaine d'albums. Et parmi ceux-ci, le premier coffret Black Saint/Soul Note de Muhal Richard Abrams.
Certes parler d’un coffret dans cette chronique où, jusqu’à présent, n’ont été présentés que des albums seuls sortis en tant que tels, peut paraître comme une manière d’infraction aux règles tacitement établies par moi-même pour moi-même.
Je me sens donc dans l’obligation de débuter par une manière de justification.
Ce qui m’est apparu dans ces notes du samedi c’est, bien que l’excellence musicale, enfin au moins à mes oreilles, soit le critère déterminant pour choisir le disque hebdomadaire, la description du contenu me préoccupe moins – encore que je ne l’élude pas forcément non plus – que celle des conditions d’arrivée dans ma vie de l’album en question.
Et c’est sous cette forme [coffret] que débarqua, alors que j’étais encore dans mes jeunes années de chroniqueur chez Citizen Jazz, dans ma boite aux lettres et dans ma vie celui qui n’était alors qu’un nom (d’importance, le nom : la figure historique qui fonda ce bienfait de l’humanité qu’est l’AACM, en ce jour béni du 8 mai 1965 à 15h20).
J’ai déjà parlé d’Henry Threadgill, je parlerai de l’Art Ensemble of Chicago, Muhal Richard Abrams fut le troisième pilier qui m’attacha durablement au free jazz (pour faire vite) si particulier produit par les membres de l’association citée quelques lignes plus haut dans cette ville de Chicago (où, au passage, a débuté hier soir le All Star Game ; je vous ai déjà parlé de ma marotte NBA?).
Relisant ma chronique d’alors (il y a exactement 6 ans, à cinq jours près) je trouve que l’enthousiasme qui s’était emparé de moi y reste assez décelable.
Je vais donc me permettre d’en citer quelques extraits, me permettant au passage de remplir cette note au prix de peu d’efforts – j’ai peur que ma paresse soit assez transparente.
« A l’intérieur du petit monde du free jazz, celui de Chicago, principalement de l’AACM, présente quelques traits caractéristiques : un intérêt pour la couleur sonore peut-être plus poussé qu’ailleurs, une musique qui pense à ménager des espaces, une approche plus méditative, moins fixée sur l’énergie déployée et le mouvement en grands ressacs comme chez beaucoup de co-générationnels du free jazz. Une utilisation des percussions, qui accentuent moins qu’elles ne s’ajoutent à la couleur musicale. Une palette extrêmement large de couleurs instrumentales, et enfin un goût certain pour les instruments non conventionnels.
Toutes choses qui se retrouvent dans la musique d’Abrams, mais ne la résument pas, loin s’en faut, l’homme étant, comme tout joyau qui se respecte, riche en facettes brillantes. Il y a d’abord l’historien qui tout embrasse et bien étreint l’ensemble de la musique américaine (du charleston à Charles Ives). Anthony Braxton, originaire de la même ville, dit de lui qu’il fut un des premiers jazzmen de sa génération à aller creuser profond dans le passé. L’arpenteur qui connaît ses cartes sur le bout des doigts et dessine des frontières pour mieux les franchir. Le coloriste qui tirera le maximum de sa palette, quelle que soit sa taille – du duo au grand ensemble. Le sculpteur à l’aise dans les purs effets de masse de l’orchestre comme dans le filet de son gracile, et qui alterne fréquemment les deux pour former un dialogue parfois concertant. Le petit chimiste amateur d’assortiments inédits ou insolites (vibraphone, flûte et percussions ; piano, clarinette, clarinette basse). L’enfant espiègle et bricoleur qui parsème certains de ses thèmes d’étranges motifs mélodiques ou de figures rythmiques savamment bancales parfois aperçues chez Messiaen ou Stravinsky, mécaniques joueuses indépendantes qui se croisent et donnent parfois des choses connues, ou bien les juxtaposent étrangement dans une maison où tout bouge. »
Ces morceaux de prose recyclés – comme une forme d’hommage aux lubies de Madame Mon Épouse louées dans la note précédente – ayant considérablement allongé cette note il me semble urgent de la conclure d’autant que le temps presse et votre patience s’use.