Quand un esprit intègre la Bibliothèque – ses formes, sa musique – il est en phase. Les mots qui s’enchaînent ne font pas seulement écho aux hypothèses de l’inconscient, à l’imaginaire, ils se plissent, s’emplissent de tous les effets de lectures, de ce qui a déjà été parlé, murmuré, crié, écrit et vécu.
Phases creusent les phrases et travaillent le tissu du texte déjà révélé et pourtant oublié. Prenez l’Iliade, ou n’importe quel autre récit ou épopée, l’enchaînement se fait d’emblée et enclenche le moteur même de l’écriture, le souffle s’imprime horizontalement et néglige la ponctuation qui freinerait la cavale.
Gilbert Bourson nous a clandestinement habitués à prolonger les incendies. Il est celui qui, dans les années de rétention avant-gardiste et formaliste, s’est échiné à mettre en scène, en voix et en corps, la puissante dépense de singularités comme celles de Job, Sénèque, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé, Flaubert… Bourson lit Homère ? Autrement dit, il lit tout autant Sade, Longin et Novalis, il est à la fois celui qui traduit et celui qui écrit, celui qui lit et celui qui déplie. Il entend les cris effacés du silence, il voit toujours le ciel et la débauche des dieux se gaver de sang et de sperme. Cette parole porte le feu et fait résonner la violence du glaive et du pénis.
Il s’agit de prendre part au combat, de « traquer l’âme des hommes à travers celles des dieux grecs » (Philippe Thireau dans sa subtile postface à ce livre). Et de ce champ de bataille se révèle un chant tragico-jubilatoire dans lequel la joute érotique se déchaîne chair à chair.
Dans l’ordalie, le clan humain serre les dents dans la promiscuité des dieux, dans la sauvagerie du sacrifice. Ce sont toujours les beuglements, les bêlements, les ronflements, les blatèrements, les bourdonnements autour du campement que l’on entend et que la parole dévoile. L’écriture de Bourson surgit, bondit, danse, saisit, déchire et délire. Du sang et de l’encre jaillissent dans la souillure et dans le meurtre. Du virus de la transe, l’écriture témoigne dans un ramassé des corps à corps. Les dieux sont bien de sublimes comédiens.
(…) chair et bronze coulés au galop d’un coursier pleins de plis cachetés par le méli-mélo des ardeurs imprimées sur la blancheur d’un sol qui est une carrière épique et un bordel mettant la fable en règle et la bouche en la bouche suce le talon où le destin respire les ailes du vent pet magique des dieux et déesses d’Olympe et de tous les lieux où s’accroupir pour inventer sa propre éternité (…)
Pascal Boulanger
Gilbert Bourson : « Phases » (Tinbad), 2020, 70p, 13€.