Un homme est poursuivi par la police. Il enterre son magot au sommet d’une colline en plein désert, et le masque en simulant une tombe par-dessus. En sortant de prison, dix ans plus tard, il retourne sur les lieux : un mausolée a été construit pour honorer « le Saint inconnu », supposé prodigue en miracles, et un village est sorti des sables pour exploiter le filon, avec hôtel et souvenirs pour les pèlerins !
Les grands burlesques poétiques des années 30, de Buster Keaton à Hally Longdon ou Harold Lloyd, étaient des artistes du silence. Ils ne tombaient pas dans la caricature, pas plus que leurs émules français des années 50-60, de Jacques Tati à Pierre Etaix. C’est dans cette tradition que se loge Alaa Eddine Aljem pour observer avec un soin et une minutie extrêmes la transformation d’une société puisant sa cohésion dans la spiritualité mais sujette aux dérives pécuniaires tandis que la sécheresse achève les cultivateurs.
Quatre années de développement et d’écriture pour ce premier long métrage, dont le projet est passé de résidences en labos internationaux. Ce n’est pas pour autant un produit fait pour plaire : le réalisateur a la personnalité et la détermination nécessaires, et une solide connaissance du cinéma et de ses enjeux. De ce huis-clos à ciel ouvert émanent des ombres et lumières, des formes et silhouettes, des textures entre ciel et sable qui génèrent ce que permet un théâtre en ombres chinoises : la satire d’une société marocaine aux secrets bien gardés tant qu’ils servent des intérêts.
Trois questions à Alaa Eddine Aljem sur l’esthétique du film :
Olivier Barlet : Voici un film sur la croyance. Ce qui frappe est que ce thème est sans cesse travaillé à l’image. On trouve par exemple dès le départ un cadrage à la John Ford laissant une grande place au ciel, lui-même s’inspirant des tableaux de la Renaissance italienne. Le jeu des acteurs « à la Aki Kaurismäki », assez statique, évoque l’imagerie religieuse. Idem pour la musique d’Amine Bouhafa… Toute l’esthétique du film semble ainsi vouloir connoter la question de la croyance.
Pourquoi cette retenue, ce rythme ?
Comment avez-vous travaillé avec Amine Bouhafa pour la musique : était-ce avant le tournage ou bien sur les images tournées ?
En fait, j’ai rencontré Amine par hasard, à un déjeuner. Je venais de finir le tournage. Je ne savais pas qui c’était mais j’ai compris que sa démarche rejoignait la mienne. L’idée de ce film était de le faire avec ma génération, la trentaine environ. On a les mêmes envies, les mêmes références. Je lui ai proposé le film mais il a failli ne pas le prendre car il n’avait pas le temps. En fait, après l’avoir regardé, il lui venait quelque chose naturellement, ce qui lui donnait envie de le faire. Mais pour des raisons d’emploi du temps, il fallait le faire tout de suite. Je suis monté à Paris dans la semaine et on a commencé à composer ensemble. Je lui ai dit que je ne savais pas lire une note de musique, que je ne savais pas ce que je voulais mais que par contre, je savais bien ce que je ne voulais pas. Il m’a dit que c’était un très bon point de départ. J’avais toute une liste : je ne voulais pas souligner le côté dramatique ni le côté comique, je ne voulais pas une musique qui écrase les sons directs ni une musique où il y a beaucoup d’instruments, je ne voulais pas des sonorités étrangères à la culture d’ancrage du film, et je n’aime pas le piano, les percussions, etc. Il m’a dit que cela allait être compliqué ! On a une passion commune pour le thé et on en a bu beaucoup dans son studio. Je joue un peu de guitare et j’essayais des choses, lui essayait des choses aussi, avec un don assez extraordinaire pour explorer les registres. Il venait de faire Timbuktu et avait en tête des sonorités africaines. On est partis dans des sonorités un peu western ou marocaines. Quand il avait besoin de percussions, il se mettait à taper sur les verres à thé, si bien que la majorité des consonances rythmiques sont à base de sons organiques, en tapant sur une guitare ou un bout de bois ou des verres.
(propos recueillis au Festival des cinémas d’Afrique du pays d’Apt, novembre 2019)
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