En sortie dans les salles françaises le 22 janvier 2019, le premier long métrage du scénariste Abdel Raouf Dafri fait mine de démystifier l’approche de la Guerre d’Algérie mais ne se révèle finalement lui-même qu’une complaisante manipulation.
Nous sommes en 1960. Pression est faite sur un lieutenant-colonel vétéran de la guerre d’Indochine pour reprendre du service dans les Aurès en zone rebelle, pour une mission quasi suicidaire. Il monte une expédition commando jusqu’au-boutiste avec une panoplie de combattants au passé sulfureux…
Il importe de situer Abdel Raouf Dafri, dont c’est le premier long métrage mais qui est loin d’être un néophyte en cinéma puisqu’en tant que scénariste, il a notamment participé aux deux Mesrine de Jean-François Richet (2008) et surtout à Un prophète de Jacques Audiard (2009), dont il décline actuellement une série télévisée. De parents algériens, il est issu de la première vague d’immigrés venus en France un an après l’Indépendance de l’Algérie. Son projet est de revenir par la fiction sur la Guerre d’Algérie, mais confronté aux récits des exactions dans les deux camps, il préfère, écrit-il dans sa note d’intention, « faire le choix de « héros » maudits à l’intérieur desquels cohabitent le bien et le mal. »
Une chose est sûre : ce film essentiellement tourné au Maroc ne rentre ni dans la glorification des moudjahidines ni dans le remords du colonialiste, et se démarque ainsi de bon nombre de films réalisés sur la période. Personne n’en sort gagnant et personne n’en sort grandi. Ce serait plutôt une tentative de transposition d’Apocalypse now en guerre d’Algérie. Même redoutablement efficaces, ces combattants ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils se battent pour retrouver une humanité perdue mais ne rencontrent que l’engrenage de la folie qui les piège.
C’est cette impureté qu’évoque le titre. La Marseillaise a été écrite et composée en 1792 par le capitaine Claude Rouget de L’Isle afin de motiver les troupes d’Alsace alors que la France vient de déclarer la guerre à l’Autriche. Le sang impur est donc à l’époque celui des Autrichiens, pays de la reine Marie-Antoinette, qui fut guillotinée en 1793. Il est celui des étrangers, de la part étrangère, même soudée à son Histoire, d’où l’ambivalence de cet hymne guerrier. Dans le contexte algérien, quelle est la part étrangère ? Les combattants du film sont devenus étrangers à eux-mêmes. C’est là leur impureté, qui conduit le réalisateur et son producteur à poser l’identité comme thème central.
Elle est certes donnée comme l’illustration d’une guerre absurde, qui désagrège et traumatise les individus, et partant leurs positions politiques et morales. Ce serait pourtant l’enjeu si l’on voulait déjouer l’amnésie historique : ramener ces interrogations en les arrimant à la responsabilité des individus pour échapper à l’abstraction globalisante qui les absoudrait de leurs actes. Chacun essaye de se racheter une posture morale, mais elle reste vaine, car ici, réduit à ses codes (confrontations filmées comme des westerns, répétition de montées en adrénaline, scènes apocalyptiques, musique dramatique), le recours au genre annule le potentiel politique du film, volant au spectateur sa capacité de réflexion. Il gomme la présence du peuple pour ne plus se concentrer que sur d’improbables héros au sacrifice inéluctable puisque leurs valeurs n’ont plus prise. Et il peine à masquer la fascination pour la performance guerrière et les gros bras.
De même que Malik (Tahar Rahim) dans Un prophète était un monstre habile tirant son épingle du jeu dans l’enfer carcéral, détestable profil complaisamment présenté comme un archétype de réussite, le lieutenant-colonel sacrifie des vies pour sauver sa situation, bien loin de toute pensée collective. En l’absence de tout recul et en pleine spectacularisation, les accents mythiques de ces personnages cyniques sont des leurres.
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