Le réalisateur américain Spike Lee sera le Président du Jury de la prochaine édition du Festival de Cannes. À 62 ans, le cinéaste, a eu sept de ses films en sélections au festival. Entouré de son Jury qui sera dévoilé à la mi-avril, Spike Lee décernera la Palme d’or à l’issue de la 73e édition qui se tiendra du 12 au 23 mai 2020. Dans sa carrière, férocement indépendant, il a sans cesse tenté d’utiliser Hollywood. Retour sur une carrière mouvementée à l’aide de la monographie que Régis Dubois a récemment fait paraître.
Bourré d’impertinence et adulé par le public, She’s Gotta Have It fut cependant critiqué par les féministes pour le peu de profondeur psychologique de Nola Darling et pour la scène où un de ses amants, jaloux, la prend de force en levrette pour la punir. Il déclarera plus tard, en 2006, regretter cette scène qu’il attribua à son immaturité d’alors (p.39). Il avait d’ailleurs recommencé avec la fin de son film suivant, School Daze (1988), où Julian offre sa compagne à Half-Pint (Spike Lee) pour le dépuceler…
Le succès de She’s Gotta Have It lui avait ouvert Hollywood et la possibilité de marquer son époque en chroniquant férocement la société multiraciale étasunienne, à commencer par ses dysfonctionnements. Il pouvait, avec un gros budget et une bonne diffusion, crier dans School Daze « Wake up ! » (Réveillez-vous), qui deviendra le slogan de toute une génération d’Afro-américains contre les discriminations.
Ses succès lui ont permis de passer de l’indépendance au cinéma commercial hollywoodien tout en gardant une farouche autonomie, conservant le fameux « final cut« , la décision sur le montage final. Tous ses films portent le nom de sa maison de production : 40 acres et une mule, nom qu’il a choisi en référence à la promesse non tenue de donner quarante acres de terre et une mule aux vétérans noirs de la guerre de Sécession.
Si She’s Gotta Have It paraît novateur, c’est selon Anne Crémieux, auteur du remarquable « Les Cinéastes noirs américains et le rêve hollywoodien » (L’Harmattan 2004) et par ailleurs collaboratrice de la rédaction cinéma d’Africultures, « parce que le problème ne se pose pas en termes de conflit entre les communautés noire et blanche mais au sein de la seule communauté noire que l’on avait rarement vue aussi diverse » (p.56). Les personnages principaux de Spike Lee, ajoute-t-elle, « ont toujours des motivations complexes et leur réussite est en général toute relative ». « Il s’efforce de lancer des débats que d’autres préfèrent ignorer » (p.57).
Lee était devenu « l’homme en colère », et cela avec un style rythmé et coloré, multipliant les effets et les registres, avec une prépondérance de la musique.
C’est ainsi qu’il fit Mo’Better Blues (1990) qui rendait hommage à la musique jazz en racontant l’histoire du trompettiste Bleek Gilliam, incarné par celui qui devint son acteur fétiche, Denzel Washington.
C’est avec Malcolm X (1992) qu’il trouve son plus grand succès. A la fois provocateur, musical et subversif, ce film de 3h20 fit un tabac au box-office. Le scénario écrit par James Baldwin avait passé par les mains de Sidney Lumet, puis Norman Jewison et Charles Fuller avant que Lee le réécrive à son tour. La polémique porta cette fois sur le fait que « le récit faisait totalement l’impasse sur la réorientation politique marxiste de Malcom X à la fin de sa vie » (p.76). Sa production fut chaotique, Spike Lee entrant en conflit avec Warner Bros qui voulait un film moins politique, moins long et moins cher. Il dut compléter le budget avec l’aide de célèbres personnalités afro-américaines.
Girl 6 (qui fut à Cannes hors compétition en 1996) témoignait de la condition des femmes noires au sein de l’industrie hollywoodienne (objets de fantasme) et dans la société américaine (téléphone rose).
Get on the bus (1996) portait sur la Million Man March, manifestation organisée par la Nation of Islam et était entièrement autoproduit. « Le récit était pour le moins bavard et moralisateur », note Régis Dubois (p.94). Son succès conduisit Lee à poursuivre sur la voie du documentaire avec 4 Little Girls (1997) sur l’attentat raciste qui tua quatre fillettes en 1963 à Birmingham.
Avec He got game (1998), Lee signe son premier scénario original depuis Jungle Fever. Passionné de sport, il met en scène Denzel Washington dans le rôle d’un père libéré de prison une semaine pour tenter de convaincre son fils champion de basket d’intégrer l’équipe de l’université d’Etat. « C’est à cette époque que la presse française allait commencer à se désintéresser de l’œuvre de Spike Lee considérée – à tort ou à raison – comme trop moralisatrice et trop bling-bling », note Dubois (p.100).
Summer of Sam (1999), entièrement interprété par des acteurs blancs, sélectionné en 1999 à la Quinzaine des Réalisateurs, montrait qu’il n’était pas seulement concerné par le racisme mais aussi par l’homophobie et l’intolérance. (p.105) Le film était situé dans le Bronx durant le black-out de l’été 97, panne générale d’électricité qui fit de la ville la proie des pilleurs.
Sa satire de la représentation des Noirs à la télévision qui renouait avec sa verve des débuts, Bamboozled (The Very Black Show) (2000), était trop corrosive et acerbe pour être un succès. Il se rattrapa avec 25th Hour (2002), film intimiste avec un casting presqu’uniquement blanc sur la dernière journée d’un dealer yuppie irlandais avant son incarcération, « une ode à la liberté et aux plaisirs simples » (p.113).
15 films en 15 ans : le boulimique Spike Lee faisait feu de tout bois. Une farce érotico-politique, She hate me (2004), le discrédita : critique et public se détournèrent. Il lui fallait un gros succès. Ce fut Inside Man (2006), thriller efficace d’un braquage, acteurs célèbres, gros budget, succès mondial, mais « dernier baroud d’honneur avant la chute » (p.117).
Après cette déconvenue, Spike Lee, qui a la cinquantaine et se trouve en mal de producteurs, se consacre plutôt au petit écran et réalise des captations de spectacles ou des documentaires (Passing Strange 2009, Kobe Doin’Work 2009, Katrina 2010, Bad 25 2012, Mike Tyson : Undisputed Truth 2013, Michael Jackson : naissance d’une légende 2015). L’élection de Barack Obama en 2008 « contribua à banaliser les thématiques noires et les réalisateurs afro-américains à Hollywood » (p.125). Spike Lee n’était plus le centre, le seul. Il avait du mal à avoir une voix qui porte. Ses films suivants seront des flops : Red Hook Summer (2012) sur la pédophilie ; Oldboy (2013), remake du violent thriller du Sud-Coréen Park Chan-wook ; Da Sweet Blood of Jesus (2014), un film gore ; Chi-Raq (2015), sur une grève du sexe des femmes du ghetto noir de Chicago pour faire cesser la guerre des gangs.
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