C’est pourquoi le rapport vertical entre le pouvoir et le peuple est généralement exprimé en démocratie sous une forme très allusive. Cela apparaît nettement dans l’utilisation systématique par les gouvernants de l’expression "faire la pédagogie de…". Dès qu’une protestation s’élève contre une initiative gouvernementale, les défenseurs de l’exécutif rétorquent que les réticences se dissiperont à la faveur d’un effort d’explication qui convaincra assurément la population de la pertinence de ce qui est proposé.
On peut le constater depuis le début du mouvement de contestation du projet de réforme des retraites en France. Sous une forme pateline (nous n’avons pas assez expliqué) ou plus brutale (les gens n’ont pas compris), les ministres et les députés de la majorité présidentielle ne cessent de brandir le nécessaire travail de pédagogie qui doit être effectué.
Apparemment anodin (il n’est pas anormal que le gouvernement tente d’expliquer son action à la population), cet usage de l’expression "faire la pédagogie de…" renvoie en réalité à une vision fort paternaliste des rapports entre gouvernants et gouvernés.
Même bienveillante, voire interactive, la pédagogie suppose un rapport hiérarchique : celui qui sait apprend à celui qui ne sait pas. Par conséquent, faire la pédagogie d’une réforme suppose que toute contestation ne peut avoir comme origine que la mauvaise foi (j’ai compris mais je fais comme si ce n’était pas le cas) ou l’ignorance (je n’ai pas compris mais on va m’expliquer). Or, il va de soi que l’opposition à une réforme peut aussi se fonder sur une vision divergente de la société et de l’être humain ou sur un scepticisme concernant l’efficacité des solutions avancées.
On touche là un des fondements de la démocratie : le droit de vote ne suffit pas, il faut que le citoyen soit éclairé. Quel sens cela aurait-il, en effet, de demander à des individus totalement incultes de se prononcer sur des problèmes complexes (par exemple le meilleur régime de retraite) ? D’où l’importance de l’école mais aussi, par exemple, la nécessaire existence d’une presse pluraliste, indépendante et honnête.
Mais un ministre ou un député n’est pas un instituteur et à trop vouloir "pédagogiser" le citoyen, on lui donne vite l’impression qu’on cherche à le manipuler. En ces temps de défiance épidermique à l’égard du personnel politique, la rhétorique est sans doute, plus que jamais, une fausse bonne idée. Les petites phrases et les formules à double sens ne satisfont que les militants et les convaincus. En revanche, prétendre parler d’égal à égal à un opposant tout en laissant entendre que celui-ci est avant tout un ignorant est sans doute le meilleur moyen de rendre inopérant tout sincère effort de dialogue. Cette fois-ci, il n’a pas été nécessaire de les inviter à le faire, ils ont bien tiré les premiers. Ils n’ont pas forcément réussi du premier coup, mais après plusieurs tentatives infructueuses et parfois il faut le reconnaître, un peu ridicules, la...