Parfois, spiritualité et politique s'opposent, comme la physique classique et la physique quantique : tout se passe comme si les lois étaient différentes selon l'échelle. Ainsi, qui irait faire de l'excellente sagesse stoïcienne de l'amour du réel une doctrine politique ? Le résultat en serait inhumain.
Pourtant, il y a parfois des analogies troublantes.
Prenez la "politique de l'apaisement". Dans les années 30, les politiciens on cherché à "apaiser Hitler", un peu comme aujourd'hui certains politiciens cherchent à apaiser certaine "minorités", aux projets dominateurs pourtant clairement affichés. Et, de même que les politiciens des années 30 ont eu la guerre, la guerre mondiale, de même il est fort à parier que les politiciens actuels auront (pas eux, mais les petits européens, disons ceux qui sont "trop pauvres pour la droite, trop blancs pour la gauche") des massacres inouïs.Comme si, quand on fuyait le problème, il vous rattrapait avec plus de force encore. Rien de nouveau.
Or, il en va de même au plan spirituel. Dans "The Seventeen Theses" (dans The Turning Point, p 121), Douglas Harding propose justement cette même comparaison entre "politique de l'apaisement" (avec Hitler), et stratégies spirituelles du contournement et de la sempiternelle préparation : purifier, transformer, déplacer, élever, etc.
D. Harding constate qu'il y a eu des éveillés. Certains, comme Ramana Maharshi, on eu des milliers, des millions d'adeptes. Mais presqu'aucun n'a revendiqué l'éveil. Aujourd'hui encore, je connais beaucoup de gens qui vénèrent Ramana. Presque aucun ne se dit "éveillé".Pourquoi ?
D. Harding donne trois raisons. Premièrement, la douleur : comme Ramana a souffert, on croit que nous aussi, nous devons souffrir. C'est l'erreur classique d'attribution de cause à ce qui n'est pas cause. Ramana a souffert, mais il ne s'est pas éveillé parce qu'il souffrait. C'est juste une coïncidence, que l'erreur à vite fait d'ériger en "loi spirituelle". Deuxièmement, le poids de la tradition. Troisièmement, la tentation du compromis. Et c'est là qu'il compare cette stratégie spirituelle à la politique de l'apaisement envers Hitler. Mais bien sûr, cette apparente habile diplomatie n'est qu'un leurre. Le monstre grandit, puis il passe à l'attaque, pendant que les gentils se terrent. Et, comme dit Harding (qui a reçu les bombes nazies durant son enfance), les mots gentils se traduisent par des actes bien réels, et moins gentils. La dictature de la bienveillance prépare la dictature tout court.
Et donc, pour venir à bout du nazisme et de ses équivalents d'aujourd'hui, arrive un jour où les mots ne suffisent plus : il faut des armes concrètes pour des cibles concrètes.
Ces armes spirituelles, ce sont les expériences, par exemple "à partir de quoi regardez-vous cet mots, en cet instant ?" Pointez avec votre doigt. N'en restez pas au mots. Allez au-delà. Passez outre la diplomatie des sempiternelles négociations. Frappez directement au cœur du problème. "Qui suis-je ?" Ne tergiversez pas. Frapper, toucher. Non amadouer ou persuader. Arrêtons les méthodes Coué, les raisonnements tordus et perdus d'avance, du style "D'abord, je clarifie mon mental, ensuite il sera toujours temps de voir". Non. "Ensuite", il n'est jamais temps. C'est maintenant que ça se passe. Stop. Regarder.
Et voici une autre raison, que D. Harding ne mentionne pas dans cet article. Une raison qui est, à mon avis, la raison principal de l'échec des "méthodes d'éveil". Voici :
associer éveil et pouvoir
Ça, c'est un poison terrible.
L'antidote : réaliser que chacun a pleine autorité sur soi, sur soi en tant que ce que je vois ici, maintenant, espace infini qui englobe et embrasse toutes les idées et tout le reste.Dire "je suis éveillé", ça n'est pas revendiquer une once de pouvoir sur les autres. Non, pas une once. C'est même le contraire. En revanche, on peut partager. Sans cacher la lumière sous le boisseau. Donc, voilà la grande cause de toutes les dérives spirituelles : faire de l'éveil une source de pouvoir moral et politique. Confondre l'évidence que je suis pour moi, avec une sorte d'autorité sur autrui. Voilà la racine du mal. Et donc voilà à quoi nous devons veiller et travailler : bien séparer éveil spirituel et pouvoir politique. Examinez la chose, vous verrez que c'est le mal même. Si donc vous êtes témoins de cette confusion, fuyez ! Ou dites simplement la vérité.
L'éveil n'a aucun rapport avec aucun pouvoir. C'est l'anti-pouvoir. Il n'apporte, relativement à nos relations aux autres, qu'une responsabilité, celle de témoigner, de décrire. Ni plus, ni moins. Cela ne confère aucune autorité, absolument aucune, sur quiconque. Au contraire, je réalise que je disparais, que j'explose, que j'accueille. Alors oui, j'ai un pouvoir, absolu, sur moi. Je réalise que tout pouvoir est mon pouvoir, en tant que je suis source de tout. Mais cela ne donne aucun pouvoir à l'individu, sauf pour témoigner de ce qu'il voit : espace limpide, immensité vivante, vie de toute vie. Mais aucun pouvoir sur les autres. Aucun. Croire le contraire serait la pire des perversions, une abomination sans nom, la source de toutes les horreurs.
Je peux décrire ce que je suis, où je suis.
Ensuite, à vous de voir.