Cubes danubiens est un ensemble de vingt-sept séquences de dix strophes comprenant chacune vingt vers de dix syllabes, nous explique en fin de volume, sa traductrice Marion Graf, et cela aussi bien en allemand qu’en français. Pourquoi des cubes alors qu’il s’agit d’un fleuve et que d’une séquence à l’autre on coule, on glisse, on enjambe ? C’est une histoire de fleuve dont il s’agit, rappelant La descente de l’Escaut de Franck Venaille en tant qu’expérience de vie, en tant que le fleuve change notre vie. Combien de fleuves font rêver, font écrire, qu’ils soient selon le philosophe Alain « les fonctionnaires de la mer » ou pour Gaston Bachelard « une liaison continue des images ». Le Danube nous apparaît vingt-sept fois différent, vingt-sept fois nôtre, et c’est tout d’abord à une croisière onomastique que nous invite Zsuzsanna Gahse née à Budapest en 1946, car les fleuves changent de nom au fil de courant, Brenner, Isarco, Isar, Iser, Sill… et leurs origines sont incertaines, ils traversent des villes, des pays — dont on sent en les lisant nos lèvres bouger sans pourtant arriver à les prononcer — des lieux dont on ignore tout, et la vie et la mort. On fait dans ces lignes l’expérience d’un autre rythme, plus lent mais aussi tumultueux, qui nous ramène parfois vers le passé, qui fait froid dans le dos, parfois vers l’avenir qui n’est guère mieux. Seuls des petits moments arrachés au temps semblent valoir la peine de continuer à rêver au fleuve. Lors de cette invitation au voyage, on se baigne mais on croise aussi une noyée, une inondation apocalyptique a lieu, on fait une croisière sur une péniche rafistolée, on prend le ferry à Ottensheim.
Le Danube n’est pas une valse, il est vert, ou boueux, « cher liquide crocodile, bien aimé mille-pattes » (p.64), « ressemble beaucoup à une arête de poisson » (p. 87). Est-il « entre trouble et hagard » (p. 130) ou est-ce seulement une question de traduction, Zsuzsanna Gahse ne manque pas d’humour et ses vers ont la souplesse de ce cours d’eau. Une même phrase nous entraîne de son berceau à son delta, qui rassemble étrangers et familiers, elle a la continuité du fleuve mais elle sait aussi remonter le courant comme les esturgeons ou les saumons, tout en sachant où elle va, car la gauche du fleuve et sa droite son fixées par le sens du courant. Chaque cube est singulier, jeté sur l’eau, ou coupé dans la glace, peut-être répond-t-il au hasard, peut-être est-ce seulement le mouvement des pensées qu’il incarne.
Camille Loivier
Zsuzsanna Gahse, Cubes danubiens, traduit de l’allemand par Marion Graf, Hippocampe, 2019, 173p., 15€
4.
vu du train, le Dôme aussi est penché.
Mais ici, ding ding dong dong : pour les oreilles
françaises, le texte doit s’arranger
pour faire sonner les Ou et les U,
sachant qu’à Ulm, la ville s’appelle Oulm,
et que le texte original comporte
quantité de mots prononcés Ou comme
Oulm, Hunnen et Hunde. Attila, ses
chiens, ses troupes déboulent sur Oulm. On
hurle, on tue. Ulm brûle. Épouvante des
(p. 104)