Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais je me suis mis aux bretelles.
Oh, ça va hein ! Cessez vos sarcasmes je vous prie.
La honte d’avoir succombé sans résistance aux diktats de la mode m’est une honte assez vive pour qu’il soit inutile que vous en rajoutiez.
Et je vois bien que le nœud papillon est en embuscade. Je me sens prêt à le repousser. Pour l’instant. Mais j’ai déjà cédé à tellement de reprises.
Les brettelles, elles, à peine arrivées semblent avoir de quoi s’installer longtemps. Par toute une série d’arguments :
- Esthétique.
Le plus volatile et instable, fort surtout de l’air du temps. S’il s’avère décisif pour la conquête, on ne peut s’appuyer sur lui pour construire de durables places fortes.
J’ai beau trouver à ce jour que mes bretelles me donnent une sacrée allure il est possible que cette impression se dissipe. Que leur couleur se marie à merveille avec le cuir aux teintes cognac de mon fauteuil de lecture est par contre moins sujet à péremption.
- Pratique.
Passé le bouleversement consistant à rentrer ma chemise dans le pantalon – ce qui ne m’arrive que lorsque, par obligation ou coup de tête occasionnel, j’opte pour le costume cravaté – il faut reconnaître que la suspension du falzar offre un confort que la ceinture n’assure pas. Je ne crois pas me souvenir avoir jamais ressenti un tel suivi des vêtements dans les mouvements. C’est tout à fait délicieux.
- Moral.
Au sens de relevant des mœurs. Les bretelles, a fortiori quand elles sont conçues sur le modèle d’une suspension en Y, annulant les effets de la gravité, ont cet immense avantage d’empêcher que se dessine à l’arrière le tristement célèbre sourire du plombier lequel ne relève pas seulement de l’inesthétique mais aussi et peut-être surtout de l’offense aux convenances voire de l’obscénité pure et simple.
Arrivé à ce stade, me voilà presque convaincu moi-même que ma récente conversion n’a rien d’une défaite de la pensée face aux assauts marketing de l’industrie du textile. Elle a tout d’un choix rationnel, informé et bien dans les canons du bon goût universel.
Mais de vieilles images bien enfouies sous le tapis de ma mémoire surgissent tout à coup et me rappellent combien, marmot, ces bretelles imposées me déplaisaient et comme j’avais hâte de les délaisser pour passer à la ceinture, signe que l’on montait d’un cran (sic) vers la maturité.
A ce rythme je vous chanterai bientôt les mérites de la cagoule, cauchemar de nos années maternelles et élémentaires. Là maintenant je me sentirais plus apte à vous en rappeler tous les désagréments mais le temps presse et votre patience s’use.