" Un regard lui suffit pour l'identifier. (...) Elle aurait voulu se pincer tant le spectacle était irréel. Les deux paires de défenses offraient une impression de puissance très supérieure à celle des pachydermes d'aujourd'hui. (...) Parvenue devant lui, elle s'agenouilla. Elle avait besoin de le toucher pour s'assurer qu'il était bien réel. Lentement, elle tendit la main. L'image d'Armstrong foulant le sol lunaire lui traversa brièvement l'esprit. Ses doigts parcoururent l'espace qui la séparait du gomphotherium, une dizaine de centimètres qui équivalaient à dix millions d'années. Il demeura tranquille, comme indifférent à sa présence. Contrairement aux éléphants d'Afrique, il ne possédait pas de bosse sur le sommet du crâne. Elle effleura sa peau grise et rugueuse, appuya sa caresse. Au toucher, elle put sentir les pulsations émises par son cœur. Sa main glissa vers les défenses surnuméraires, s'arrêta avant de les atteindre. Ce geste aurait pu lui coûter cher. " (Xavier Müller, "Erectus", XO Éditions, 2018).
Le gomphotherum est une sorte d'éléphant qui a vécu il y a une dizaine de millions d'années. Ils possédaient quatre défenses (deux supérieures pour trouer, deux inférieures pour pelleter) et des molaires raboteuses. Cet animal fut trouvé en 2018 dans une réserve en Afrique du Sud. Enfin, fut trouvé, façon de parler, pas son squelette mais un individu vivant. Enfin, pas dans la réalité, car c'est un roman. Dans cette intrigue scientifique excellemment bien menée par Xavier Müller (et déjà évoquée ici), on y trouve aussi le début d'une pandémie par un virus très spécial. Pour l'anecdote, un squelette d'un autre animal de la même famille que le gomphotherum, le platybelodon, est exposé dans un musée en Chine, précisément ...à Wuhan, étonnant, n'est-ce pas ?
Aujourd'hui, les éléphants, qui sont du même ordre que les deux précédents animaux préhistoriques cités, à savoir des proboscidiens, sont nettement moins impressionnants comme grosses bestioles. Ainsi, au lieu de deux paires de défenses, ils n'en ont plus qu'une seule, et encore, leurs défenses sont de plus en plus petites au fil des siècles. Est-ce d'ailleurs une coïncidence ? Le commerce de l'ivoire, le trafic des défenses d'éléphant, a une incidence certaine sur "l'évolution" de cette espèce, faisant que seuls, les individus ayant des défenses petites pourraient survivre car seraient moins recherchés (et tués) par les trafiquants : ou comment l'humain intervient dans un processus de la Nature mis en valeur par Darwin...
Pourtant, il existe encore quelques éléphants qui possèdent encore de longues défenses. L'un des derniers vient de mourir le mardi 4 février 2020 à l'âge de 50 ans dans le parc d'Amboseli, au sud de Nairobi (à trois heures de voiture), au Kenya, en face du Kilimandjaro, selon le communiqué du Service kenyan de la faune sauvage (KWS). Le parc d'Amboseli est un parc national de près de 400 kilomètres carré, souvent visité par les touristes pour un safari.
L'éléphant s'appelait Big Tim (ou Tim) et était l'un des derniers éléphants ayant de longues défenses, généralement les plus pourchassés par les braconniers et autres trafiquants. Il est mort de manière naturelle (50 ans est un âge déjà avancé pour un éléphant des savanes mais son espérance de vie peut aller jusqu'à 70 ans) et sera empaillé et exposé au musée national de Nairobi. Ses défenses touchaient presque le sol lorsqu'il était debout. Chacune de ses défenses pesait 45 kilogrammes d'ivoire.
Le vieux mâle était un rescapé de fermiers en colère et avait dû se faire soigner après avoir eu l'oreille transpercée le 16 juin 2016 par une lance d'adolescent. Déjà en 2014, il avait eu le ventre transpercé par le même genre de lance et la plaie s'était infectée, mais heureusement soignée rapidement par l'organisation non-gouvernementale David Sheldrick Wildlife Trust.
Sur Twitter, le photographe animalier britannique, connu pour son engagement dans la défense de l'environnement, David Yarrow a écrit le lendemain : " Je suis très triste d'apprendre ce matin que Tim, sans doute l'éléphant le plus célèbre du monde, est mort à l'âge de 50 ans. C'est une triste nouvelle, mais ce n'est pas une tragédie. Nous devrions célébrer aujourd'hui sa vie et les efforts de tous à Ambroseli. ".
Des éléphants comme Big Tim, avec de telles défenses géantes, il n'y en aurait plus que quelques dizaines en Afrique. Les éléphants d'Afrique sont vraiment une espèce en voie de disparition. C'est même une hécatombe. Chaque année, 30 000 éléphants d'Afrique sont massacrés par les braconniers. En dix ans, la population des éléphants d'Afrique a chuté de manière dramatique de 110 000 à 415 000 individus, selon les données de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Au-delà de la perte immense pour la biodiversité, l'extinction des éléphants pourrait avoir un impact très négatif sur l'atmosphère selon des scientifiques de l'Université de Saint-Louis aux États-Unis. En effet, le broutement des éléphants favorise les espèces à croissance lente, car les éléphants préfèrent se nourrir de plantes à croissance rapide. Les plantes à croissance lente ont un bois plus dense et donc, permettent de stocker plus de carbone que les plantes à croissance rapide. Cela impacterait ainsi directement sur le taux de CO 2 dans l'atmosphère de la planète. Et selon les experts du GIEC, cela impacterait directement sur le climat.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 février 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Big Tim et ses défenses géantes : l'extinction des espèces sous nos yeux...
Rapport de l'ONU (IPBES) sur la biodiversité publié le 6 mai 2019 (à télécharger).
Le cœlacanthe : un rival pour Darwin ?
"Erectus" de Xavier Müller.
"Demain les chats" de Bernard Werber.
Brigitte Bardot.
Népal : on abat au cas où.
Un panda diplomatique.
Les animaux ont-ils une âme ?
La sensibilité des animaux reconnue par le code civil.
Les chasseurs...
La vie dans tous ses états.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200205-big-tim-elephant.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/02/09/38009935.html