Quand Olivier Sillig dit: Le Monde est ma ruelle, il pourrait tout aussi bien dire que la ruelle est son monde, car, dans ce livre, il parle beaucoup de rues et de ruelles, en quelque lieu où il se trouve.
Le Monde, au cours des années, il l'a parcouru, à commencer par son pays, la Suisse, et sa ville, Lausanne, où il est né, et où il finit toujours par revenir comme un bateau à son port d'attache.
Cette fois, il se montre moins fabuliste qu'humainEnfin c'est une façon de dire les choses parce que, quand il affabule, il n'en est pas moins humain, sans doute parce que rien d'humain ne lui est étranger .
A la faveur de 368 chroniques, il prend des notes sur l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Est de l'Europe, l'Afrique de l'Ouest, le Sud de l'Afrique et l'Afrique du Sud, l'Amérique du Sud et le Mexique.
La plus ancienne de ses chroniques remonte au 24 avril 1984 et la plus récente au 10 octobre 2017, ce qui représente un sacré voyage dans l'espace et dans le temps pour connaître la vraie vie.
Il est bien conscient que, lorsqu'il voyage seul, il regarde trop: Ce qu'on voit est intéressant, éventuellement juste, mais ce n'est pas la vraie vie, la vie de l'intérieur . Alors, il ne voyage pas toujours seul.
Sinon il a acquis une grande faculté d'adaptation en voyageant sac au dos, en se logeant quelquefois dans des conditions sommaires ou dans des situation de promiscuité merveilleuse.
Son adaptabilité personnelle le conduit à écrire:
J'ai souvent tendance à penser que si l'on n'a pas d'aile, on ne doit pas voler. Que si, dès le départ, on est homo, on devrait renoncer à avoir des enfants. De même si pour des raisons physiologiques la nature ne nous le permet pas. Et que si l'on n'est pas content de son sexe, qu'il faut faire avec.Est-ce à dire qu'il n'aime pas ceux qui pourraient ne pas avoir tendance à penser comme lui? Non pas. Dans un taxi-brousse, un bâché 404, au Mali, il ne peut se retenir d'avoir ce cri du coeur:
[une jeune infirmière et un apprenti, blottis l'un contre l'autre] [deux autres passagers et lui], dégageons tous une sensualité immense, asexuée je crois, transgenre, trans-race, trans-classe, trans-tout, trans-univers, totale, genre transe bouddhique. [...] Humanité, je t'aime!
Ces notes prises en voyageant ne sont pas perdues puisque, non seulement, elles sont données à lire aujourd'hui, mais qu'elles ont parfois un rapport avec l'imaginaire de l'écrivain qu'il est, entre autres.
Ainsi l'idée de départ de son roman, Le Poids des corps, lui a été inspirée par une seringue chargée et crasseuse traînant dans les escaliers d'accès aux caves de son immeuble où son voisin de palier dealait.
Parfois la fiction précède la réalité. Dans un township contigu à Soweto, il découvre une cabane basse qui est précisément le décor de la toute fin de [son] roman La Cire perdue, écrit deux ans plus tôt...
Dans ses chroniques, il est question de beauté et de laideur, de corps et d'esprits, d'odeurs artificielles et sui generis, de scènes de rues et de beaucoup plus de rencontres que dans la vie ordinaire.
Il n'est pourtant pas besoin d'aller loin pour découvrir toute l'ironie qu'une scène de rue peut délivrer. A Lausanne, dans le passage souterrain de Chauderon, il reçoit un jour ce message subliminal :
Quatre flics, dont une femme, interceptent un dealer africain. Alors qu'ils le fouillent, dans l'intervalle laissé entre leurs épaules et le harnachement plein de gadgets qui ceint leur tenue de parachutistes bleus, sur le t-shirt de celui qu'ils sont en train de fouiller au corps, sur fond noir, noir comme sa peau, en belle écriture blanche, bien claire, bien nette, je peux lire: J'aime ce que vous faites...
Francis Richard
Livres précédents:
Je dis tue à tous ceux que j'aime, L'Âge d'Homme (2017)
Jambon dodu, Hélice Hélas (2016)
Jiminy Cricket, L'Âge d'Homme (2015)
Le poids des corps, L'Âge d'Homme (2014)
La nuit de la musique, Encre Fraîche (2013)
Skoda, Buchet-Chastel (2011)