Cet ouvrage, qu'il faudra compléter en se procurant un solide dictionnaire des auteurs de romans-feuilletons et romans populaires en France, réveillera une foule de souvenirs chez les passionnés de bouquineries. Les romans évoqués ici, on ne les trouve en effet que là ou sur des sites spécialisés : de nos jours hélas ! le roman populaire n'a plus la cote.
Evidemment, il y a les collections Harlequin mais quel rapport avec le roman populaire ?
Car le roman populaire, dont certaines racines puisent à la "Pamela" et à la "Clarissa" de Richardson, est, n'en déplaise à certains snobs, un art à part entière. Ne fait pas du roman populaire qui veut : même dans ce que l'on s'entête à considérer comme un sous-genre, il y a les obscurs, les sans-grades, les besogneux et puis les grands, les illustres et même les visionnaires. Les premiers, on les oublie ou alors on en rit, les seconds ont laissé dans la Littérature à majuscule des types et même des archétypes.
Archétype en effet qu'Arsène Lupin ou Fantomas. Archétype encore que le Bossu et ses deux compères, Cocardasse & Passepoil. Archétype inégalé enfin que Rocambole (qui faillit s'orthographier avec deux "l"). Et Delly ? Même lorsqu'il tirait sur sa fin, le roman populaire se débrouilla pour, sous cette signature, remettre au goût du jour des archétypes recensés pour la première fois par Perrault et les frères Grimm.
Le roman populaire est mystère et grâce. Certes, avec ses tirades ronflantes, avec ses bons sentiments qui larmoient pour attendrir Margot, avec ses situations convenues et les tics d'écriture de ses rédacteurs, qui tiraient à la ligne parce qu'ils écrivaient tout d'abord pour les journaux, il prête à rire et à sourire. Mais il suffit de dépasser le stade où l'on se sent un peu ridicule parce qu'on s'intéresse à lui pour saisir toutes les complexités qui l'unissent au tissu social (Eugène Sue, Daniel Lesueu) et politique (Ponson du Terrail, Charles Mérouvel).
Yves Olivier-Martin nous dresse un panorama complet de ce parent pauvre et décrié de la Littérature, de 1840 à 1980. Il nous raconte Paul de Kock (qui "ravissait" la Claudine de Colette et Willy), les critiques dont Karl Marx accablait le "roman social" d'Eugène Sue, les "grandes machines" de Ponson du Terrail, la manie qu'avait Decourcelle de placer plusieurs nègres sur une seule histoire, envoyant parfois jusqu'à trois versions d'une seule intrigue au directeur de journal qui n'en attendait qu'une, les accents cocardiers des romans de propagande qui fleurirent après 1870, l'érotisme discret mais non dépourvu de souffre qui nimbe l'essentiel de Delly et les grands tirages d'un Guy des Cars.
De temps en temps, un gros plan sur des francs-tireurs, des exceptions tels Frédéric Soulié dont on lit encore avec plaisir ses "Mémoires du Diable", fortement teintés de fantastique, ou Eugène Chavette, fils du restaurateur Vachette, dont les romans possèdent à la fois le style et la construction.
Bref, un livre passionnant qui pousse le lecteur à se faire son propre avis sur le roman populaire, sans tenir compte des opinions snobinardes et/ou intellos. ;o)