#2020RacontePasTaVie - jour 39, l'album du samedi : Ship Ahoy de The O’Jays

Publié le 08 février 2020 par Aymeric


Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais la musique occupe quelque place dans ma vie. A l'intérieur de cette place trônent en majesté une cinquantaine d'albums. Et parmi ceux-ci, Ship Ahoy de The O’Jays.

La soul de Philadelphie fut l’équivalent pour la soul américaine, et peut-être même pour la culture noire américaine en général, de ce que fut Verdi à la musique italienne, son sommet et son identité la plus incandescente, son opéra national.
Je brode avec mes souvenirs mais c’est à peu près ce que déclare Derek Strange, détective privé noir, exerçant à Washington DC et personnage récurrent de George P. Pelecanos.
Ce dernier, désormais surtout connu pour avoir participé à l’aventure d’un des points culminants de la série télévisée, The Wire, est aussi et peut-être surtout l’auteur de nombreux polars pas mal foutus du tout et gorgés de Black American Culture comme de gastronomie grecque.

J’avoue ne pas connaître grand-chose à la deuxième – tout en me rendant compte que je passe à côté de quelque chose – mais la première m’est depuis de nombreuses années une abondante source de joies et de réflexions.
Et, parlant de réflexions, celle à peine plus haut à propos de la soul de Philadelphie, toute excessive qu’elle soit, est loin d’être sotte.

Cette musique fut assurément un sommet. Succédant en quelque sorte à la soul Motown (autre sommet mais il me semble vous en avoir déjà parlé) aux aigus conçus pour les auto-radios et transistors des kids, la soul de Philadelphie, largement créée par Kenneth Gamble et Leon Huff, en fut le pendant adulte, luxueux, avec un son fabriqué pour les chaînes stéréo haute fidélité qui, au début des années 70, s’installaient une à une dans les salons d’une classe moyenne encore en expansion.

Mes affinités avec le genre en soi comme ma passion pour les travaux de broderie et couture des arrangeurs – a fortiori quand il y a des étoffes de violonnades – ne pouvaient que me conduire à adorer ça.
D’autant que le soyeux habillait le fougueux, la profusion des instruments devait s’imbriquer sans les gripper dans des mouvements le plus souvent improvisés par les musiciens en studio à partir de motifs schématiques.

Mais les productions Gamble & Huff, sans oublier Thom Bell qui aujourd’hui encore marque de son savoir-faire des productions assez éloignées de son terrain de jeu initial – il a par exemple donné de très excitantes couleurs à un morceau de David Byrne – ne se caractérisaient pas seulement par une luxuriance sonore. Le flot musical portait discours et chroniques sur la vie noire américaine telle qu’elle se passait, le plus souvent, mal.
Et Ship Ahoy des O’Jay – oui, le détour fut long avant de revenir à l’album de ce samedi – est tout à fait emblématique de cette tendance. Tendance à laquelle Motown, après y avoir été des plus rétives, commençait péniblement à se convertir aussi en ces années 70 débutantes.

Les relations conflictuelles et sournoises dans la communauté, alors que la solidarité devrait être de mise, abordées de manière cruelle et grinçante dans Don’t Call me Brother, le scandale de la traite négrière mis en son – avec coups de fouets ou bruit de mer furieuse – dans Ship Ahoy, une dénonciation de l’avidité, convenue certes, mais rehaussée de citations tirées des évangiles dans For the Love of Money.
Autour, plusieurs chansons d’amour classiquement salaces.
Ce disque est à la fois représentatif et dans le haut du panier – où déjà la qualité abonde – du genre. Et il fallait bien en choisir un pour respecter ma thématique auto-imposée du samedi.

J’ajouterai que mon goût pour la Philly Soul n’est sans doute pas étranger à ma nette préférence, parmi toutes les équipes présentes en NBA, pour les Sixers de Philadelphie. Mais je ne vais pas m’embarquer dans une discussion sur le basket américain, le sujet me passionne – je crois bien que je vous en ai déjà parlé – mais cette note est déjà bien longue, le temps presse et votre patience s’use.