" Vous envoyez des commentaires mensongers sur Internet. Serez-vous capable de cesser ces actions illégales ? Nous vous mettons sévèrement en garde : si vous continuez vos activités illégales, vous allez être poursuivi par la loi. Comprenez-vous ? " (Police de Wuhan, 3 janvier 2020).
C'était (ci-dessous) le texte où il fallait apposer une signature (texte reproduit en bas de cet article). La vie d'un lanceur d'alerte n'est pas vraiment un long fleuve tranquille, surtout dans un pays où les libertés individuelles sont bafouées en permanence et remplacées par une surveillance tout aussi permanente.
L'épidémie de coronavirus de Wuhan, appelé " 2019-nCoV", qui s'est développée en Chine depuis maintenant deux mois (8 décembre 2019) a (hélas) un héros, ou plutôt, un héraut. Ophtalmologue de 33 ans (il est né le 12 octobre 1986) au Wuhan Central Hospital (hôpital central de Wuhan), Li Wenliang a fait partie des premiers médecins à avoir donné l'alerte de ce nouveau virus (de type SRAS) dès le mois de décembre 2019, alors que les autorités chinoises n'ont communiqué sur l'épidémie qu'à partir du 9 janvier 2020.
Le médecin a découvert le 30 décembre 2019 qu'un patient de son hôpital était positif à un test de dépistage proche du coronavirus du SRAS issu de l'épidémie de 2002-2003 (à l'époque, la Chine avait été complètement dépassée et avait très mal géré l'épidémie). Li Wenliang a décidé alors d'en informer ses camarades de promo dans un groupe de discussion sur Internet (site WeChat) : " Il y a sept cas confirmés de SRAS au marché de gros de fruits de mer de Huanan. ". Il leur a envoyé le rapport du patient et a complété un peu plus tard : " Les dernières nouvelles confirment qu'il s'agit d'infections au coronavirus, mais le virus exact reste à sous-typer. ".
L'information a commencé à se propager à vive allure, jusqu'aux oreilles (ou aux yeux) de la police qui est intervenue auprès de lui dès le 3 janvier 2020 pour le mettre en garde de ne plus diffuser des "rumeurs" sur Internet. Mais l'information s'est propagée de toute façon, au point que le docteur Li Wenliang est devenu le premier lanceur d'alerte d'une épidémie de coronavirus. L'ophtalmo a protesté : " Je pense qu'il devrait y avoir plusieurs sons de cloche dans une société normale, et je désapprouve l'utilisation des pouvoirs publics pour interférer de manière excessive. ". Il n'avait cependant pas l'intention de recourir à la justice car l'important était ailleurs pour lui : " Il est plus important que les gens connaissent la vérité, la justice est moins importante pour moi. ".
Le 4 février 2020, la Cour populaire suprême de Chine a cependant donné raison à Li Wenliang et à quelques autres médecins avec lesquels il avait échangé : en effet, cette instance, qui est la plus haute cour du pays, a formellement désavoué la police de Wuhan pour avoir menacé ces internautes de diffusion de fausses nouvelles, dans la mesure où les informations diffusées n'étaient pas vraiment fausses : " Cela a pu être une chance si les lecteurs ont réagi à ces informations en se mettant à porter des masques, à faire des désinfections et à ne plus fréquenter le marché de Huanan. ". Li Wenliang craignait d'être sanctionné par son hôpital et cette intervention de la cour l'a, en quelques sortes, disculpé.
Apparemment, les autorités locales, par crainte du faux pas, voulaient beaucoup moins de transparence que le gouvernement central qui voulait prendre l'affaire à bras le corps, surtout en raison d'une diplomatie qui veut rendre la Chine crédible au sein de la plupart des organisations mondiales. Il n'est pas anodin que le Président chinois Xi Jinping lui-même soit intervenu plusieurs fois sur le sujet depuis quelques semaines (j'y reviendrai dans un autre article).
On se rend ainsi compte que la transparence des autorités chinoises n'était pas une évidence lorsqu'elles ont pris conscience de l'épidémie. Mais les technologies ont beaucoup évolué en dix-sept ans, depuis la mauvaise expérience de gestion de crise avec le précédent coronavirus (SRAS) : les réseaux sociaux, les smartphones, tous les citoyens sont capables d'émettre et de recevoir à la vitesse de la lumière des nouvelles informations et ce serait compliqué d'en garder l'absolu contrôle.
Le changement le plus important, c'est la balance du commerce extérieur qui fait qu'il y a nettement plus d'échanges internationaux avec la Chine : à ce jour, vendredi 7 février 2020, vingt-huit pays sont touchés par ce coronavirus, soit 34 395 cas détectés dont 34 068 en Chine (hors Hongkong), dont 6 en France, 12 aux États-Unis, 14 en Allemagne (dont une personne contaminée en Allemagne même)... Hélas, la maladie a provoqué 720 décès, dont 718 en Chine (les deux autres à Hongkong et aux Philippines). Le taux de mortalité est toujours resté de l'ordre de 2% (ici 2,1%). La mortalité est quatre fois plus faible que celle du SRAS mais la contagiosité est nettement plus importante. Cela dépasse de loin, en absolu, l'ampleur de l'épidémie de 2002-2003 : 8 346 cas avec 646 décès au 7 mai 2003 (l'épidémie a commencé en novembre 2002, le coronavirus détecté en février 2003 et l'alerte mondiale déclenchée par l'OMS le 12 mars 2003 ; au 1 er juillet 2003, à la fin de l'épidémie, il y a eu 774 décès).
L'histoire du jeune docteur Li Wenliang aurait donc pu être heureuse, celle d'un lanceur d'alerte reconnu par l'un des gouvernements au monde les plus autoritaires contre la liberté d'expression. Hélas, Li Wenliang est mort aux premières heures du 7 février 2020, il a fait partie de ces victimes du coronavirus. Marié, père d'un enfant, il en attendait un second. Effroyable nouvelle d'un arrêt cardiaque.
En effet, Li Wenliang a contracté le coronavirus dans son hôpital en soignant un patient qui présentait un glaucome. Ce dernier était infecté. Après quelques jours de forte toux et de fièvre, Li Wenliang fut admis aux soins intensifs le 12 janvier 2020 et mis en quarantaine par principe de précaution. Il n'a été dépisté réellement que tardivement, le 1 er février 2020 : entre-temps, il avait contaminé sa famille, ses collègues, etc. Le retard provenait d'un manque de moyens pour faire les cests de dépistage.
Alors que ses parents ont pu quitter l'hôpital guéris après une période d'observation, Li Wenliang n'a pas survécu à la contamination. Ceux qui pensent que cette épidémie n'est pas grave sont un peu légers sinon irresponsables, en tout cas, manque de lucidité. Le coronavirus de Wuhan peut être mortel même pour des jeunes adultes qui n'ont aucun signe de faiblesse, pas seulement pour des personnes âgées ou en état de grande faiblesse.
Cette épidémie a tout en elle des prémices d'une catastrophe à l'échelle mondiale. Le pire n'est heureusement jamais sûr, mais ceux qui en sous-estiment la gravité manquent, à mon avis, de lucidité (pour diverses raisons). On ne paralyse pas l'économie d'un des premiers pays du monde pour rien. J'y reviendrai, mais je rappelle en attendant ce tragique mot du cinéaste Billy Wilder, rappelé par David Foenkinos dans sa sublime biographie "Charlotte" (2014), en parlant des Juifs : " Les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz. ". Je suis plutôt d'un naturel positif et optimiste, mais le plus efficace, c'est de se préparer au pire...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 février 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le docteur Li Wenliang, lanceur d'alerte de l'épidémie de coronavirus.
Le coronavirus de Wuhan va-t-il contaminer tous les continents ?
L'apocalypse par l'invasion de paléovirus géants ?
Le virus de la grippe A(H1N1) beaucoup plus mortel que prévu.
" Estimated global mortality associated with the first 12 months of 2009 pandemic influenza A H1N1 virus circulation : a modelling study" ("The Lancet", 26 juin 2012).
Publication d'origine sur le Mollivirus sivericum du 08 septembre 2015 (à télécharger).
L'arbre de la vie.
Découverte du virus du sida.
Vaccin contre le sida ?
La grippe A.
Un nouveau pape de la médecine.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200207-li-wenliang.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/02/07/38005504.html