Poezibao publie aujourd’hui la quatrième contribution d’une nouvelle série de disputaisons autour du thème « A quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? ». Remerciements à Jean-Pascal Dubost qui en a eu l’idée et qui en a assuré la réalisation.
Disputaison n°2
« À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? »
La poésie (contemporaine s’entend), et c’est presque devenu un poncif que le dire, est un genre ignoré du grand public, dédaigné par les médias, fait de petits tirages, peu vendeur, et seule lue par une minorité de lecteurs (souvent eux-mêmes poètes) ; on pourrait entrer dans une longue litanie de ses carences. Quant aux poètes édités, selon une estimation non officielle mais qui fait autorité, ils seraient plus nombreux que les lecteurs de poésie.
Pourtant, un certain nombre d’obstinés s’acharne à en publier, et d’autres (plus rares) (libraires), à en vendre. Comment expliquer cette opiniâtreté ?
4. Guillaume Basquin (directeur de collection chez éditions Tinbad)
La rédaction de Poezibao, pour cette nouvelle « disputaison », a tout de suite posé les bonnes « questions » : pourquoi, en temps de détresse (du livre imprimé), encore publier de la poésie contemporaine ? Les « grands » journaux n’en parlent jamais (par exemple, le moteur de recherche d’un journal arrogant comme Libération donne « zéro » résultat pour Tinbad, et ce malgré l’envoi d’au moins 35 services de presse en 4 ans… confirmant par là que, sous une couverture de « gauchisme » bon teint, il n’est qu’un journal collabo de l’industrie du livre et de ses attachés de presse…) Beaucoup de poètes qui veulent être publiés chez Tinbad, pour (presque) rien au monde, n’achèteraient un livre déjà publié ici… Une bonne moitié des « déjà publiés » ne vient jamais aux soirées de lecture des livres des « autres » poètes, qui semblent « au mieux » être des ennemis encombrants, au pire n’être que des « ratés » beaucoup moins bons qu’eux… Quant aux libraires, ils commandent les livres au compte-goutte (même avec une diffusion professionnelle), et les renvoient comme « invendus » au bout de trois mois (dans le meilleur des cas)… Pourquoi continuer, contre toute « raison », dans ces conditions ?
Je cherche les bons mots. La foi ? Oui, je n’en vois pas d’autre, fors l’amour (j’y reviendrai). Le grec pistis, qui a donné fides et foedus en latin, suggère d'une manière générale l'idée de confiance. Confiance en l’avenir ? En tout cas, la foi est une promesse. Promesse de lecteurs dans un siècle ? Ou deux ? Oui. Toujours. Sans cela, on ne ferait jamais rien. On sait bien que Rimbaud et Lautréamont, probablement les deux plus grands poètes français, n’ont rien vendu de leur vivant. Et alors ? Même Stendhal n’a rien vendu durant son existence (seulement 17 exemplaires de son De l’amour avaient été écoulés plusieurs années après sa première publication)… Le mérite de la foi est de nous faire espérer contre l’espérance même…
L’amour, comme on le sait, meut le soleil et les autres étoiles… Il meut aussi la chose écrite et imprimée : si on aime vraiment un manuscrit, comment ne pas y croire, comment ne pas avoir envie de le faire exister, de lui donner sa chance ? Chaque publication, pour reprendre un titre de Mallarmé (mais aussi de Claude Minière) est un coup de dés : l’impression d’un livre le vérifie (ou pas). En électronique, ça ne marche pas : comme la publication numérique ne coûte rien, la vérification n’a pas lieu : là où croît le danger ; là croît aussi ce qui sauve ! Il en va de l’édition, selon moi, comme de la paternité : Multipliez-vous, et croissez ! Qui fuit cette prescription biblique n’a qu’une foi morte…
©Guillaume Basquin
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