Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais je ne suis pas cinéphile.
Il fut un temps où, le cinéma faisant partie en quelque sorte du bagage culturel indispensable, je me suis un peu penché sur cet art qu’on dit septième.
Quelques livres, beaucoup de films, au cinéma en partie mais surtout venant d’emprunts en médiathèque ou en vidéo-club, principalement le célèbre Vidéosphère, anciennement au 105 Boulevard Saint Michel et désormais sis au 36 rue des Bernardins, 75005 Paris.
En termes de bagage je ne trimballe donc pas une valise vide mais un petit sac à dos pas trop mal rempli. Trop maigre cependant, je m’en suis vite rendu compte, pour camper bien longtemps en compagnie des cinéphiles pur sucre (d’acétate) de cellulose.
Je ne fréquente donc plus que très occasionnellement – et en simple visiteur extérieur – ces regroupements riches de conversations ultra érudites, de profusion interprétative et de fâcheries permanentes.
Mais de ces années durant lesquelles je tentais vaguement de l’être, cinéphile, j’ai tout de même gardé quelques affections durables pour tel ou tel film, tel ou tel réalisateur et parmi cela, Charlie Chaplin.
Affection d’une grande banalité, c’est entendu, mais c’est qu’elle a l’évidence du génie (oui, osons les grands mots).
J’ai l’habitude de dire à propos de Chaplin qu’une des choses qui le rendent exceptionnel c’est sa capacité à tout embrasser (sans pour autant mal étreindre) des sentiments humains sans craindre les écarts ou la démesure.
Une qualité qui me vient spontanément à l’esprit quand je songe à des titans (oui, osons les grands noms) du genre de Shakespeare, Tolstoï, ou John Ford.
Et puis il y a le rapport à l’enfance, à sa malléabilité permettant l’empreinte des marques assez profondes pour le reste de l’existence.
Entre huit et dix ans j’ai eu la chance de voir d’une manière un peu particulière deux films de Chaplin, un de ces soirs où mes parents recevaient et qu’un classique tous publics passait à la télé, déplacée pour l’occasion dans ma chambre.
Il y eut Le Dictateur puis Les feux de la rampe – qui compte aujourd’hui encore parmi mes films les plus chers – l’un et l’autre m’ayant fait une impression suffisamment vive pour que je me souvienne sans mal des impressions ressenties au moment de leur découverte.
Peut-être que les conditions de vision, cette intimité, cette solitude face aux films finalement assez rares en ces jeunes années ont influé sur l’intensité de la réception.
C’est possible.
J’ai pu constater cependant avec mes propres enfants combien il était facile – pour peu qu’on ait été confronté jeune aux images en noir et blanc parfois muettes – de ressentir les mille et une émotions provoquées par cette merveille de corps en conflit.
Je les ai vus – et accompagnés – dans l’angoisse devant les tentations cannibales ou la maison en péril malgré le (relatif) confort intérieur de La Ruée vers l’or, dans les fontaines de mélo-larmes provoquées par The Kid, dans les questionnements qui surgissent à la vision des Temps modernes ou du Roi à New-York.
Mais je le ai surtout vus rire, beaucoup, fort.
Je tiens avec Chaplin un des quelques exemples de transmission réussie. Ça me le rend d’autant plus précieux qu’en la matière – vouloir faire aimer à ses enfants, le plus souvent avec une insistance aussi lourdaude que contre-productive, ce qui vous a vous-même ému jeune – le succès n’est pas vraiment la norme.
Je pourrais vous faire la liste des échecs du genre mais le temps presse et votre patience s’use.