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Pourquoi je ne suis pas universitaire

Publié le 04 février 2020 par Anargala

J'entends parfois dire que "David Dubois est un universitaire".

Il est vrai que j'ai quelques diplômes et titres universitaires. 

Pourtant non, je ne suis pas un universitaire.

Pourquoi ?

Pourquoi est-ce j'écris ici au lieu de publier des articles dans des revues universitaires ?

Parce qu'à mes yeux, la liberté est ce qui a le plus de valeur. L'indépendance. Sans cela, il n'y a pas de recherche de la vérité.

Or, il est presque impossible d'être indépendant quand on dépend d'un milieu, "spirituel" ou "universitaire".

Cela commence par l'argent, comme d'habitude.

Dépendre d'un salaire précaire en tant que vacataire, comme la plupart des chercheurs aujourd'hui. Donc d'une administration, ou d'un "management", devrais-je plutôt dire, qui ressemble de plus en plus à un patronat en bonne et due forme. Il faut "performer", poser des objectifs, rendre des comptes, gérer, apparaître, paraître, encore et toujours paraître. Les universitaires sont unanimes : être "chercheur", c'est être de plus en plus précaire, de plus en plus dans le paraître, et de moins en moins dans la recherche elle-même. 

De plus, pour avoir l'argent, il faut passer son temps à comploter et surveiller ce que l'on dit, à qui, où et comment. La liberté se perd dans ces fines manœuvres comme la mythique Saravatî dans les sables du Thar.

De plus, le milieu est snob, pétri de tics visant à imiter le milieu des sciences de la nature, alors qu'il est bien entendu vain de chercher à mettre au point des "protocoles expérimentaux" à propos de textes ou de phénomènes difficilement productibles ou reproductibles. La rigueur, oui. Mais l'expérimentation ? C'est ridicule. Or, les universitaires sont contraints désormais de remplir des formulaires pour leurs demandes de subventions, des formulaires calqués sur les sciences de la nature. Il faut ainsi s'humilier et se ridiculiser en faisant la cour aux instances de l'Europe, aux bureaucrates, aux mécènes privés et j'en passe.

De plus, les livres sont devenus hors de prix, plus de 200 euros est devenu la norme. Pour un article de 30 pages, comptez 30 euros, qui vont dans les poches de multinationales aussi claires que le Gange. Et pour publier, il faut encore payer, souvent plusieurs centaines d'euros. Le tout sur fond d'angoisses, de stratégies aussi puériles que savantes, d'alliances et de coups tordus qui ont vite fait de vous transporter à des années-lumières de la quête de vérité qui devrait être le seul et unique but de toute recherche. 

De plus, les cours, séminaires et autres diplômes sont devenus hors de prix. Si vous voulez réussir dans l'indianisme, il faut aller en Angleterre ou aux USA. Or, une année de troisième cycle à Oxford, c'est entre 10 000 et 20 000 euros. Plus le logement, la nourriture, etc. Il faut être Crésus ou avoir la chance (oui, la chance) d'avoir une bourse. 

De plus, tout ou presque dépend de relations de copinage, de pistons et autres tractations en coulisse, sans rapport avec la vérité. Presque tout ce que j'ai obtenu, dans ce milieu, je l'ai du à des rencontres fortuites et décidé par des gens qui ne savaient rien de ce que j'écrivais. Comme partout, les clés sont sociales et économique. Politiques. On se fiche du mérite comme de son premier slip. A l'inverse, presque tout ce que j'ai manqué s'explique par le même genre de causes. La vérité, la beauté, la justice ? En fait, c'est comme en politique. Il y a une majorité de gens sincères, exploités par une minorité de nantis. Et dès que l'on gagne un peu d'argent, on passe de l'autre côté. C'est aussi simple que ça. Je pourrais écrire un livre avec tout ce que j'ai j'ai vu et entendu. Et un autre avec les milieux spirituels. Mais tout cela serait triste et répétitif. Les moralistes du Grand Siècle ont déjà tout dit de ces mesquineries. On s'humilie pour des miettes. On se vend pour des fantasmes.

De plus, j'ai constaté encore et encore que ce milieu détruit ceux qu'il porte au sommet. A quoi bon "réussir", si c'est pour devenir timbré ? C'est du vampirisme pur et simple. Tout se passe comme si le système était fait pour tuer ceux qu'il place en son sommet. C'est trop cher payé.

Pouvoir, argent, pouvoir, pouvoir, pouvoir...

Je préfère rester indépendant, libre en ce sens, au prix d'une relative précarité matérielle et sociale. Enfin, je dis ça mais je m'en sors bien. D'autant que j'ai le sentiment qu'Internet change la donne. Grâce à ce blog gratuit, je peux m'exprimer librement. Je n'ai de comptes à rendre qu'à la vérité. Et j'observe que d'autres font de même, comme Joy Vriens, dont le blog Dans le sillage d'Advayavajra me paraît infiniment plus intéressant que bien des articles et livres "universitaires". 

Pendant longtemps, les philosophes furent des gens qui travaillaient et qui réfléchissaient. Je suis professeur de philosophie. Quelle chance ! Je n'arnaque personne, je n'ai pas de petit chef à écouter. Bien que cela soit en train de changer. Les "rendez-vous de carrière" ont remplacé le système républicain. Mon inspecteur a démissionné, et la philosophie n'existe plus (vraiment) au lycée. Mais je suis fier de faire partie de cette dernière génération de professeurs bien formés, cultivés, mal payés, au service du bien commun. Certes, cela n'attire plus les foules. Mais je suis heureux, car libre. Et grâce à des amis formidables, je peux désormais partager Nâgârjuna et Tchouang Tseu avec mes élèves. N'est-ce pas une chance extraordinaire ? Un dernier baroud d'honneur, en somme. Un chant du cygne, mais joyeux. Bien sûr, je ne refuserai pas d'enseigner à l'Université, d'autant plus que, le niveau baissant, les différents cycles tendent à se confondre. Je ne refuse pas non plus d'intervenir, ni d'écrire dans ce registre. Mais je ne vendrai pas mon âme pour cela.

Si l'on dois me mettre une étiquette, je préférerais simplement "philosophe".

Ou écureuil des Galapagos. Enfin, peu importe.
Voilà pourquoi je ne suis pas universitaire. 

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