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Nicolas Werth, Les grandes famines soviétiques, Paris, PUF, 128 p., Bibliogr., 2020
Sept millions de morts en deux ans : l'histoire de l'URSS (ou de la Russie soviétique) commence à être mieux connue. Voici un nouveau livre qui va y contribuer encore un peu plus. Il s'agit de dresser le bilan de la famine qui toucha, dans les années trente, l'Ukraine, le Kazakhstan et les régions les plus riches de la Russie (Kouban, dans le Caucase du Nord, les Terres noires, la Volga).
Cette famine est différente des autres que connut précédemment la Russie en ce qu'elle est volontaire : le Holodomor (terme qui désigne en ukrainien l'extermination intentionnelle par la faim) fut un "génocide du peuple ukrainien". Aujourd'hui, cette histoire divise les historiens, les Russes tendant à minimiser et banaliser l'événement tandis que, en novembre 2006, le parlement Ukrainien a reconnu cet événement comme un génocide perpétré par le régime soviétique contre le peuple ukrainien.
L'auteur rappelle en introduction que ces famines ont fait, en deux ans, trois à quatre fois plus de victimes que le Goulag en un quart de siècle. Et l'on en parle bien peu.
Evidemment, examiner cette phase demande aux historiens de reconsidérer toute l'histoire de l'URSS à la lumière de cet événement central : la faim a été pour les gouvernants soviétiques, et, bien au-delà de Staline dont les complices sont nombreux, un moyen banal et létal de répression.
L'auteur est normalien et Directeur de recherche au CNRS. Historien, russophone, il a écrit plusieurs ouvrages sur l'histoire soviétique, entre autres : La vie quotidienne des paysans soviétiques de la révolution à la collectivisation (1984), L'Etat soviétique contre les paysans (2011), Histoire de l'Union soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev (2007).
L'ouvrage se compose de trois parties essentielles, concernant les années 1930-1933 : la première est consacrée à la famine au Kazakhstan, la deuxième à la famine en Ukraine et enfin la troisième traite de la famine dans diverses parties de la Russie. Les deux premières parties décrivent la lutte de l'Etat soviétique contre les paysans, bataille qui s'achève par un collectivisation forcée. Bien sûr, on sort mal en point de la famine : à son issue, le kolkhoze est plutôt mal considéré et, la classe paysanne, dévastée, martyrisée, est désormais muette. Et, bien sûr, le mensonge de l'Etat et celle du Parti communiste dominent. Mais, finalement, c'est la question des rapports entre l'Etat soviétique et ses sujets qui est posée.
Ce petit livre est un grand ouvrage : il montre quelque peu la vérité de la constitution de l'Etat soviétique, classe contre classe. Et le gigantesque "cimetière de l'espérance" qu'il représente.
L'auteur, avec un style modeste mais armé d'une documentation précise, décrit l'histoire des grandes famines ; toutefois, il n'évoque pas trop la responsabilité de l'état et des militants communistes ni leur méconnaissance (militante !) de ces événements. Quant à la lucidité diplomatique française, elle est notée (p. 72) avec l'avis d'un visiteur français, le normalien Edouard Herriot, invité par Staline, qui assure ne rien avoir vu en Ukraine en matière de famine. Il conseillera aussi plus tard de se rallier à Pétain... Un visionnaire donc !