Vous voulez rire ? Le carton d’invitation, constellé d’étoiles de différentes tailles, sur fond bleu, était arrivé le jour de mon anniversaire, exhaussant un de mes souhaits : j'allais assister à une cérémonie de remise de Prix, en l'occurrence la 11° édition des Etoiles d'or du cinéma français que les professionnels de la presse française cinéma devaient décerner le 15 février 2010.
L'endroit qui avait été choisi était un haut-lieu des soirées parisiennes, ouvert en 1978 par le légendaire Fabrice Emaer, dans une salle de théâtre abandonnée du Faubourg Montmartre, sorte de jumeau du "Studio 54" de New-York. Au sous-sol, "Le Privilège" a constitué une sorte d'annexe privée dès 1980, où les célébrités se sentaient à l'abri des regards et des mouvements de foule. Le jeune Thierry Mugler avait dessiné les costumes des serveurs, et j'ai appris il y a peu de temps que Gérard Garouste avait contribué à sa décoration.
Je me souviens que la crainte des gens branchés de l'époque était de se voir refoulé à l'entrée car ses cerbères jugeaient arbitrairement sur la mine. Je n'avais donc jamais osé tenter l'aventure et je n’étais pas peu fière de disposer du sésame absolu avec mon beau carton bleu marine et or. Ne restait plus qu’à choisir la tenue adéquate. L’exercice représentait pour moi un autre challenge en raison de plusieurs traumatismes antérieurs.
J’avais, à seize ans, été menacée de perdre une journée de travail par un patron réactionnaire qui refusait que ses vendeuses portent un pantalon. La révolution de mai 68 l’avait laissé complètement hermétique à l’évolution de la condition féminine et j’ai dû batailler pour ne pas repartir à la maison le matin où je me suis présentée en pantalon devant la pointeuse. Le magasin disposait d’un rayon habillement et j’avais négocié l’autorisation d’y emprunter quelque chose. La chef de rayon m’avait prêté une jupe de laine grise, trop grande de trois tailles, qui me tombait sur les hanches et masquait mes genoux. Le tissu grattait et me tenait horriblement chaud. Mais pas question de subir une retenue sur un salaire qui m’était indispensable pour financer mes études. Je ne voulais pas davantage renoncer à ma liberté. J’avais trouvé une parade pour les jours suivants. J’arrivais en mini robe sur mes pantalons chéris que je laissais au vestiaire toute la journée et je passai tout l'été légère et courte vécue (apparemment cela ne dérangeait personne) sous la blouse rose de polyamide que chaque vendeuse portait alors sans exception. La mienne était ornée d’un badge "jeune au travail" accroché de travers au-dessus de la poitrine. Les trois chefs de rayon se distinguaient -elles- par une blouse bleue, en coton de belle qualité.
Des années plus tard j’avais eu l’honneur d’accompagner mon petit ami de l’époque au Festival du film romantique de Cabourg. Je n’avais pas trente ans. Jean-Pierre Vincent, administrateur de la Comédie Française, venait de lever l’obligation imposée aux spectateurs de porter un smoking pour avoir le droit d’entrer dans le saint des saints. Joëlle, la chanteuse du groupe Il était une fois portait presque systématiquement un short à chacune de ses apparitions à la télévision. J’étais encore mince et plutôt jolie. Avec de longues jambes fines. J’avais sélectionné, pour assister à une projection privée, un short que j’estimais être tout à fait dans le style de ceux que portait Brigitte Bardot dans les années 75 pour traverser Saint Tropez. Un chemisier de tulle blanc tranchait avec le coton bleu marine. Je m’étais présentée au contrôle avec confiance. Le vigile fut intraitable et je ne vis pas le film sélectionné, lequel fit d’ailleurs un flop, sans qu'il y ait la moindre relation de cause à effet.
Je n’ai pas osé tenter une récidive pour le dîner de gala. Les photos d’archives attestent de mon éclat, en longue robe de soie mordoré rouge vif, boutonnée dans le dos, et ceinturée à la façon d’un obi japonais.
Ces mésaventures avaient laissé une trace. Ne dit-on pas jamais deux sans trois ? Une vague inquiétude me vrillait l’estomac. Qu'allais-je porter pour la cérémonie des Etoiles d'or ? Je n'ai pas eu le temps d’envisager le pire que j'apprenais que la soirée était annulée, réglant d'un coup net le dilemme du choix de la robe de cocktail et surtout la réponse à la question : qui pourrait bien me prêter une tenue susceptible de correspondre au dress-code d’un tapis rouge …
Selon le communiqué de presse : Pour des raisons de forces majeures techniques sans rapport avec le théâtre le Palace, les organisateurs des Etoiles d'or du Cinéma sont contraints d'annuler la 11ème cérémonie de remise des Etoiles d'Or aux Lauréats de la production cinématographique française. Les trophées seront remis ultérieurement aux Lauréats en comité restreint. Les Lauréats désignés par le vote des journalistes de cinéma et par les membres de l'Académie de la presse de cinéma sont : (suivait une liste de noms parmi lesquels on pouvait lire Isabelle Adjani, Etoile d’Or du Premier Rôle Féminin français 2009 pour son interprétation dans La Journée de la Jupe).
Les organisateurs présentent leurs excuses aux Lauréats, aux journalistes de cinéma participants, aux invités à la cérémonie et aux dirigeants du théâtre le Palace qui ont tous soutenu cette manifestation en l'honneur de la création cinématographique Français. Signé : Jean-Luc Favriau Fondateur des Etoiles d'Or du cinéma depuis 1998.
Alors que je me réjouissais très sincèrement de savoir Isabelle Adjani étoile d'or pour sa formidable prestation dans la Journée de la jupe, un film que j'avais découvert à la télévision, je me disais que la question vestimentaire était une problématique d’actualité. Elle l’est restée. Gaëlle Billaut Dano reprenait brillamment le rôle d’Isabelle Adjani cet été en Avignon dans une nouvelle adaptation, spécialement écrite pour le théâtre par Jean-Paul Lilienfeld. Ce spectacle excellent est au Théâtre des Béliers Parisiens (14 bis rue Sainte Isaure, 75018 Paris) depuis quelques jours et jusqu'au 31 mars.
Il y a toujours des filles qui, dans certains quartiers, ne peuvent pas s’habiller selon leurs goûts. Pour ma part il y a belle lurette que, tout en faisant attention, je vais aux cérémonies de remise de Prix, Molière et autres remises de trophées, en choisissant ce qui me plait.
C'est fait. Je peux cocher la case : Je m'habille comme je veux