Partager la publication "[Critique] UNCUT GEMS"
Titre original : Uncut Gems
Note:Origine : États-Unis
Réalisateurs : Benny Safdie, Josh Safdie
Distribution : Adam Sandler, Julia Fox, Idina Menzel, Lakeith Stanfield, Kevin Garnett, The Weeknd, Noa Fisher, Eric Bogosian, Judd Hirsch…
Genre : Thriller/Drame
Durée : 2h15
Date de sortie : 31 janvier 2020 (Netflix)
Le Pitch :
Howard Ratner, un diamantaire new-yorkais, vient de faire l’acquisition d’une pierre précieuse exceptionnelle. Un caillou qui va l’entraîner dans une suite de péripéties des plus frénétiques. Howard qui doit en plus gérer la déliquescence de son couple, son addiction aux paris ainsi que l’insistance de créanciers de plus en plus impatients…
La Critique de Uncut Gems :
Une poignée de films a suffi pour que les frères Safdie soient considérés comme les héritiers de Martin Scorsese, Sidmet Lumet et plus globalement tous ces cinéastes qui se sont attardés avec plus ou moins d’insistance sur New York, faisant de cette ville tentaculaire l’un de leurs terrains de jeu privilégiés. Leur nouveau film, Uncut Gems, confirmant la place des frangins, eux qui, aux côtés de James Gray notamment, même ce dernier a quelque-peu délaissé Big Apple ces derniers temps, continuent d’entretenir l’image d’une cité certes en bouleversement perpétuel, en proie à la gentrification vorace, mais pourtant toujours prompte à jouer un rôle prépondérant dans des récits viscéraux aux multiples et passionnantes implications.
Bright lights, big city
Il n’est pas vraiment surprenant de retrouver Martin Scorsese à la production d’Uncut Gems. Beaucoup de choses évoquant ici son After Hours, mais aussi, de manière moins flagrante néanmoins, des œuvres urbaines racées comme Taxi Driver. Cela dit, les frères Safdie, comme ils l’ont déjà prouvé dans le passé, ne sont justement pas passéistes. Pas entièrement en tout cas tant leur cinéma, et Uncut Gems en particulier, sait aussi aller de l’avant, au centre d’un décorum vivant, qui ne s’attarde pas sur les plus récentes modifications dues à la gentrification évoquée plus haut mais au contraire sur ces endroits plus confidentiels, presque intemporels. Des repères qui, sous l’œil des Safdie, volent en éclat, alors que la vie de leur personnage principal, ce diamantaire azimuté principalement inspiré par le père des cinéastes, monte sévèrement dans les tours. New York devient l’un des personnages principaux du long-métrage. Le genre de formule cliché que l’on ressort souvent dans les critiques pour insister sur l’importance d’un décors qui arrive à s’extirper de cette simple condition pour prendre part à l’action, mais une formule nécessaire dans le cas présent. New York est ici réduite à une succession d’appartements, de succursales, de pièces exiguës ou, à plus forte raison, de sas, comme pour mieux symboliser au fil des minutes, un étau qui ne cesse inexorablement de se refermer sur le personnage central.
Blood Diamond
Uncut Gems s’ouvre sur un plan hallucinant. Le genre que n’aurait pas renié David Fincher, un autre grand spécialiste des entrées en matière tonitruantes. Plan qui lie à jamais Howard Ratner, le diamantaire, à cette opale africaine qui va enclencher une réaction en chaîne imprévisible. Dès lors, les Safdie ne s’arrêtent plus. Uncut Gems va vite. Très vite. Au centre de ce tourbillon enivrant et viscéral (dans tous les sens du terme), Adam Sandler. Un acteur qui livre une performance incroyable. Et tant pis si les réalisateurs voulaient Jonah Hill au départ. Sandler s’extirpe de sa zone de confort, encore une fois, et va au contact. Il se met en danger, ne cesse de bouger, se confronte, se fritte, hurle, parle sans discontinuer, en prend plein la gueule, saigne et pleure, dans une exaltation permanente, à l’image du film lui-même, ce festival de couleurs, d’ambiances et de morceaux de bravoure visuels et narratifs. En état de grâce, littéralement, Sandler prouve à ceux qui l’avaient oublié qu’il est unique. Combien d’acteurs pourraient faire ce genre de trucs ? Passer de la comédie potache et légère à un film comme celui-là ? Son personnage étant façonné sur une base composée de plusieurs évocations prestigieuses, convoquant Pacino, Nicholson ou De Niro, avec ce côté résolument contemporain, à fleur de peau. De tous les plans ou presque, Adam Sandler puise sa force dans l’outrance mais reste, et oui c’est paradoxal, tout de même dans la mesure. Ses partenaires, de la révélation Julia Fox au basketteur Kevin Garnett, en passant par les géniaux Judd Hirsch, Lakeith Stanfield et Eric Bogossian, nourrissant avec lui la dynamique d’une œuvre folle, parfaitement maîtrisée et imprévisible. Uncut Gems qui n’a pas peur de provoquer l’inconfort, en repoussant les limites de sa propre narration, sans pour autant négliger l’émotion. Exaltant… Oui c’est le mot clé.
Dans la chaleur de la nuit
Référencé mais toujours volontaire quand il s’agit de tenter avec audace des choses, Uncut Gems dynamite un langage cinématographique pour faire siens les enseignements de ses plus prestigieux aînés. En plus de 2h, sans jamais retomber, il nous entraîne dans la jungle new-yorkaise, se montre en permanence plus passionnant, outrancier et pertinent. En plein numéro d’équilibriste, les Safdie subliment leurs acteurs en leur laissant les coudées larges, mais aussi leur scénario et leur environnement. Le tout sans jouer aux poseurs (c’est important). Le montage étant aussi prodigieux à plus d’un titre. Leur héros, cette figure douloureuse et parfois pathétique, mais néanmoins caractérisée par son extraordinaire résilience, sorte de Saul Goodman à la sauce diamantaire, devenant le pivot de cette fresque urbaine aux relents psychédéliques. Un tableau de maître, fourmillant de détails passionnants, dans lequel il est aisé et agréable de se perdre. On se laisse porter, admiratif, jusqu’au bout. Chef-d’œuvre ? Et pas qu’un peu !
En Bref…
Incroyable tour de force narratif et graphique, Uncut Gems s’impose comme l’un des derniers grands films new-yorkais. Un genre à part entière que les frères Safdie s’approprient pour nous livrer une sorte de gigantesque course-poursuite aux implications diverses et passionnantes. Un trip halluciné qui nous prouve pourtant qu’il a bel et bien les pieds sur terre, extrêmement précis et enivrant au possible, galvanisant, tantôt drôle ou plus tragique. Du grand cinéma.
@ Gilles Rolland