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(Echos) Florence Trocmé, Lichens, lichens

Par Florence Trocmé

Un mois de lichens
(Echos) Florence Trocmé, Lichens, lichens

Je retrace ici, dans la nouvelle rubrique (Echos) de , toute une histoire qui s'est créée en ce mois de janvier 2020 autour des lichens, depuis l'évocation des titres d'Antoine Emaz jusqu'à Camillo Sbarbaro et Pierre Gascar.
1. Dans le du 9 janvier 2020 (20 ème paragraphe), ces mots :
" Je ne sais pourquoi, j'ai une fascination pour les lichens. Pour les voir souvent avec leurs étonnantes couleurs, accrochés envers et contre tout sur le granit et les roches de Bretagne nord ? A cause bien sûr aussi des deux recueils magnifiques d'Antoine Emaz, Lichen, lichen (Rehauts, 2003, à rééditer de toute urgence !) et Lichen, encore (Rehauts, 2009).
Je suis donc tombée en arrêt devant un grand article du " Monde des Sciences " daté du 8 janvier 2020, consacré à un lichénologue, Joël Boustie, qui " fait partie de ces chercheurs qui, en quelques minutes, vous font glisser hors du monde et hors du temps. Pourquoi ce phytochimiste a-t-il une telle passion pour les lichens ? Sa réponse : 'Peut-être parce qu'ils sont exactement à l'inverse de notre société, explique-t-il. Ils croissent extrêmement lentement, de quelques microns par an pour certains, et vivent en symbiose : un lichen, c'est une algue associée à un champignon, ou une cyanobactérie, la première nourrissant le second grâce à la photosynthèse, et le champignon protégeant l'algue du rayonnement solaire et du dessèchement. Dans cette organisation très subtile et complexe, la coopération est vitale'. " Très amusant aussi le parcours de ce chercheur, fait d'apparents hasards. Il y a cette rencontre notamment : " Il assiste alors à la conférence d'une des rares lichénologues françaises, Chantal Van Haluwyn, et devient intarissable sur les qualités multiples de ces organismes qui présentent des structures moléculaires rares et peu étudiées. On les trouve dans toutes les zones du globe, des plus chaudes aux plus glacées, des plus sèches aux plus salées. Ils parviennent à pousser sur les roches les plus dures, sont ultrarésistants et capables de reviviscence : deux espèces de lichens, Rhizocarpon geographicum et Xanthoria elegans, prélevées dans les Alpes et en Espagne, ont même survécu en 2014 à un séjour d'un an et demi sur les parois de la Station spatiale internationale (ISS), puis repris leur croissance sur la terre ferme ! " Et il y a même des herbiers de lichens ! En 1999, Joël Boustie rencontre Jean-Claude Massé, maître de conférences à Rennes, qui " avait hérité de l'herbier de lichens du grand botaniste rennais Henry des Abbayes, mort en 1974. (...) il n'avait pas réussi à convaincre l'université de l'intérêt de conserver cet herbier, et le gardait donc dans son salon ! En 2005, il a légué à J. Boustie cet herbier d'une importance scientifique internationale, comprenant 11 000 spécimens de lichens. " Je note pour finir les principaux habitats des lichens (pour le plaisir du vocabulaire aussi !) : épiphytes : sur les arbres ou branches, voire sur du bois mort ; saxicoles : sur des rochers, des calcaires, des vieux murs ou toits ; corticoles : sur des écorces ; terricoles et humicoles : dans la pelouse ou autres sols ; muscicoles : sur les mousses ; etc. (selon cet article de Wikipédia, qui donnent bien d'autres informations).
2. Le 24 janvier 2020, un mail de Philippe Grand qui donne lieu à ce paragraphe du (et à bien d'autres développements dont il est déjà un peu question dans le et dont il sera question, plus encore, bientôt dans .)
" Heureuse d'apprendre (grâce à Philippe Grand) que le poète italien Camillo Sbarbaro (1888- 1967) était passionné de lichens et très fin connaisseur en la matière, au point de publier plusieurs articles scientifiques. Il a fait don de son importante collection de lichens au Musée d'histoire naturelle Gênes. Il a décrit 127 nouvelles espèces de lichens dont vingt porte son nom. Heureuse de découvrir sous la plume d'une grande lichénologue Chantal Van Haluwyn ces mots : " Ce qui m'émeut dans les lichens, c'est leur fantastique puissance de vie, leur superbe ", écrivait le poète (et lichénologue) italien Camillo Sbarbaro (1888-1967). Car les lichens ont aussi attiré l'attention des écrivains. C'est même le thème de l'ouvrage écrit en 1972 par Pierre Gascar ( Le Présage, réédité en 2015) dans lequel l'auteur utilise le lichen comme le signe ou le présage de la transformation biologique de notre planète. " Ainsi en me penchant sur les lichens, en ramassant parfois ces espèces d'écailles dispersées un peu partout, je ne cessais de me demander si j'assistais à la mort du monde ou à sa reviviscence ".


3. Le 28 janvier 2020, un nouveau mail, cette fois de Françoise Le Bouar :
" Y aurait-il un rapport, difficile à élucider, entre les lichens et les poètes ? un art de vivre/art poétique qui s'apparenterait à celui de ces mystérieux végétaux ?
Un merveilleux poète leur a consacré beaucoup de son temps, des pages superbes, en plus d'un herbier ("carnet d'échantillons du monde" comme il disait, dont la majeure partie est conservée à Gênes, au Museum), et découvert plus de cent espèces nouvelles.
Connaissez-vous le poète ligure Camillo Sbarbaro ? Dans la petite chambre de sa maison de Spotorno, paraît-il, on ne pouvait trouver qu'un seul livre : un gros volume de taxonomie des lichens édité à Uppsala en 1952. "La pièce est encombrée, imprégnée d'une odeur de sous-bois, par un herbier de lichens..." : ainsi commence un texte découpé en neufs petits paragraphes qui a pour titre "Lichens", inclus dans "Copeaux" (traduit par Jean-Baptiste Para dans un livre paru chez Clémence Hiver en 1992). "[...] entraîné par ma prédilection pour tout ce qui existe en sourdine, je me suis consacré à des formes de vies plus retirées [...] Jusqu'au jour où j'abordai les lichens : un port qui m'avait été désigné par un vers de mon premier livre : "La parmélie d'or incruste le mur." (La parmélie d'or est, sur les murs et les écorces, le plus évident et le plus jovial des lichens). [...] Le lichen prospère de la région des nuages aux grèves éclaboussées d'embruns. [...] Le lichen est le plus polychrome des végétaux. Sa gamme qui s'étend du blanc laiteux au noir stygien, se hisse vers tous les aigus, à travers une orchestration de tons et de nuances où se déploie le plus fastueux répertoire de couleurs. [...] Le lichen est une énigme. Affirmer qu'il appartient au règne végétal, c'est dire tout ce que l'on sait de lui avec certitude. Recourir pour le désigner au terme "d'entité" est déjà un signe d'imprudence, quand d'aucuns estiment le lichen n'être rien d'autre qu'un phénomène." Il faudrait tout citer...
Mais je recopie tout de même encore ceci, cette fois tiré de "Feux follets" : "Je lis dans un livre, le dernier paru sur cette question controversée, que le lichen n'est ni un cryptogame ni l'association de deux, mais un pur conflit : un phénomène de destruction par conséquent, comparable à celui de deux substances qui s'annulent au premier contact. Je comprends maintenant pourquoi cette passion s'est enracinée si durablement dans ma vie : elle répondait à ce qu'il y a en moi de plus aigu, le sens de l'éphémère. De sorte qu'au fil des jours j'aurais recueilli et amoureusement conservé pas même des nuages ou des bulles de savon - ce qui pour un poète serait déjà beau - mais quelque chose d'encore plus inconsistant : rien d'autre que des effervescences auxquelles je donnais un nom."
Et encore cela : "Mon amour pour les lichens ne souffre d'éclipses qu'en deux circonstances : lorsque je suis amoureux et lorsque j'écris. Il a donc vu juste, celui qui sans me connaître a diagnostiqué dans cette passion une forme de désespoir."


4. Dans le même temps, j'écris à Jean-Baptiste Para, traducteur de Copeaux, car le livre publié chez Clémence Hiver est introuvable.
5. Le 29 janvier 2020 : mail de Jean-Baptiste Para
" Il me reste un exemplaire de chacun des deux magnifiques volumes de Sbarbaro publiés par Clémence Hiver.
Je pourrai scanner prochainement le texte sur les lichens et te l'envoyer. Tu pourras bien sûr le reprendre en totalité ou en partie sur le site.
Je crois qu'il y a longtemps que ces livres sont épuisés, je ne sais pas si un éditeur pourrait leur donner une nouvelle vie. "

(Echos) Florence Trocmé, Lichens, lichens
6. Scan que Jean-Baptiste Para m'adresse quelques heures plus tard. Je l'ai converti en fichier PDF pour les lecteurs de Poezibao, qui peuvent l'ouvrir d'un d'un simple clic sur ce lien


7. De fil en aiguille, après avoir reçu la lettre de Philippe Grand, je m'étais enquis de Camillo Sbarbaro, de son rapport aux lichens et c'est ainsi que je suis tombée sur l'évocation d'un livre de Pierre Gascar, Le Présage, dont la quatrième de couverture dit que, publié pour la première fois en 1972, il pose d'une manière presque prémonitoire toutes les questions actuelles de l'écologie. Il y est très largement question de lichens et aussi de Sbarbaro :
" Les lichens ont eu leur poète en la personne de Camillo Sbarbaro qui occupe une place très honorable dans l'histoire de la littérature italienne de la première moitié de ce siècle. Montrant cette heureuse dualité de l'esprit dont Goethe nous a donné l'exemple, Sbarbaro alliait le sentiment poétique à la connaissance scientifique et faisait des lichens le thème de ses rêveries les plus libres comme de ses traités de botanique les plus rigoureux. " (Pierre Gascar, Le Présage, Gallimard, 1972, p. 161).


8. Je terminerai sur cette citation du même livre :
" Sollicité par l'image d'une adhérence - ou d'une adhésion - qui parlait à ma mémoire obscure, comme si ma vie, depuis ma naissance, n'avait été qu'un arrachement, je m'étais mis à cueillir des lichens, afin, j'imagine, de faire passer pour de la curiosité scientifique ce qui n'était qu'un repliement sur moi, j'entends sur la part la plus archaïque de mon être. Il est vrai aussi que la botanique n'est pas sans attraits pour l'esprit. Elle est une façon de recommencer à épeler le monde, dans lequel, depuis longtemps, nous ne lisons plus. Sans doute n'ouvre-t-elle qu'en partie le vaste 'livre de la nature', mais ce qui importe est moins ce qu'on y apprend que la forme d'application qu'il demande pour être déchiffré. C'est le seul domaine où la connaissance ressemble à une communion. " (p. 148)


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