La force de la démarche historique

  DESPRET, Vinciane, Habiter en oiseau, Arles, Actes Sud, 2019. 208 p. 20 euros.

Pour comprendre l’enthousiasme du sifflement d’un merle un matin d’un printemps, une philosophe met en oeuvre la démarche des historiens (et des anthropologues intéressants). Elle recherche dans les textes des ornithologues les marques de cette réalité vécue. Dans Le lieu de l’autre (2005) Michel de Certeau inscrivait cette démarche dans « la tradition hétérologique où le discours sur l’autre est le moyen de construire un discours autorisé sur l’autre ». Mais chez Vinciane Despret, les autres ne sont pas des êtres humains mais des oiseaux qui s’expriment de différentes manières mais ne parlent pas.

Elle n’en arrive pas moins à des conclusions guère différentes de celles des anthropologues (et des historiens) qui suivent cette démarche. Par les rejets successifs  des recensions des ornithologues en faveur d’informations les plus pertinentes, davantage en accord avec leurs observations, elle en arrive à la conclusion qu’il est vain de vouloir « écraser des différences » et propose « de faire grincer les ressemblances ». Les « territoires » des oiseaux varient selon les situations, les saisons, les individus et le temps. Pour comprendre une telle diversité, Vinciane Despret est conduite à s’appuyer sur certains anthropologues, non des moindres, Elisabeth Claverie et Bruno Latour.

Malheureusement ou pas, les oiseaux ne parlent pas. Les informations dont nous disposons sur eux ne proviennent pas d’eux, des acteurs, mais de témoins, les ornithologues qui rendent compte d’observations, des sources de première main cependant.

Vinciane Despret fait donc du processus d’enquête un instrument de connaissance pour accéder à des micro-situations et prendre en compte le point de vue des acteurs.  « La Sociologie de Durkheim est morte » disait Sartre dès 1943. Même chez les oiseaux.

Bernard Traimond