à Gérald Bloncourt
Un homme
dans la violence du temps
dans la violence de la mémoire
épine au flanc d’un Christ vaudou
Un homme
de terre et d’eau
de grandes feuilles vertes
et d’oiseaux
plus vastes que toutes
les mers réunies
et la cuite de Baron Bravo.
Un homme qui fait langue
Au pays des Loas
et des longues nuits de tyrans
Un homme jeune coq
de foudre et de roc
frère de ma terre d’Oc
fouilleur de chaque semeur de merde
et de feu
La vie vaut bien qu’on la perde
un soir de pleine lune
de tout bois
au coin d’un bois
alors qu’on traîne la savate
en compagnie
d’un certain André Breton
Sans domicile fixe
et sans vraie profession
sinon celle d’orpailleur
au bord du fleuve
cher à ce vieil Héraclite
Un homme qu’Eros prend au piège
de ses filets bleus
Un homme qui
à l’image du Petit Poucet
sème ses yeux
de braise et de crucifix
le long du chemin
des sans-chemise
Un homme qui torse nu
dans la forge du verbe
chante au milieu des étincelles
comme chante la sentinelle
au rempart des Barbares
pour croire à sa part de ciel
Un homme fou de femmes
fou d’alcools
de peintures pures
Un homme armé
jusqu’aux dents de colère
parce qu’il y a du crime
dans l’air
Un homme peau noire
peau rouge un homme
qui danse avec les lucioles
les fusils des rebelles,
les astres et les poissons
et le pollen
Un homme qui hurle « je hais »
parce qu’il aime
plus que tout
la grande marée noire,
la jeune mariée, l’abeille
le sang dans les veines
de la grande forêt
Un homme très beau
qui vieillit bien
comme le vin et l’espoir
Un homme en guerre
-Guerre de dix mille ans –
Parce que vivre à genoux
n’est pas vivre,
parce que dans son corps à moitié
est tuer l’autre dans le désir
le délire des sens
Un homme en partance
par-delà les « mornes »
Vers le grand large
où gerbent la lune et la baleine
Un homme de ruines
et d’opiniâtres renaissances
aux ongles de glaise
au front creusé
par la fièvre corsaire
Un homme immense
de la rose qui s’acharne
à fleurir parmi nous les morts
mal enterrés
aux quatre coins du pays
Paris, le 16 Février 1991